dimanche 20 avril 2008

Césaire, la fôhoun!

C’est le matin d’hier que le poète est parti. Non pas ce « petit matin » qui ouvre, rythme et cadence « Le cahier d’un retour au pays natal » — le point culminant de la poésie universelle, mais le matin banal du temps des hommes. Et voici qu’on le conte déjà au passé, lui le maître des grandes orgues ; lui qui, plus que tous les fils élus de la Parole, avait tant su nous dire le nommo et le muntu de sa langue de feu – le secret de son gosier de créateur ! Moins de cinq minutes après la déclaration officielle de son décès par le médecin, le premier texte était déjà sur le Net. C’est que la disparition (prévisible) de l’homme, était un événement mondial ; en tant que tel, il avait mis en alerte toutes les rédactions du monde. Exactement comme il y a quelques années, celle du Pape…

Il n’était plus du commun des mortels ; son nom et son œuvre étaient aux envergures du monumental ; et cela était juste car Césaire était le plus authentique d’entre les poètes du vingtième siècle, celui qui avait le plus compris que la poésie, la vraie, naît de la démesure du discours. Il disait d’ailleurs que « La connaissance poétique est celle où l’homme éclabousse l’objet de toutes ces richesse mobilisées ».

Pour le monde noir, pour les écrivains du monde entier, la disparition de cet homme sera (elle l’est même déjà) une date historique, un majestueux point d’orgue à observer, en hommage à celui-là qui, de toutes les consciences politiques et intellectuelles de sa génération et de son temps, était celui qui avait le plus mobilisé de l’énergie pour la défense des opprimés, et exprimé sa passion pour sa race — la race noire…

Aimé Césaire est mort à 94 ans ! Près d’un siècle de vie consacre donc son parcours terrestre. C’est un privilège des Dieux. Et les négro africains ont raison de ne pas pleurer les patriarches : à cet âge-là, on ne meurt plus, à vrai dire ; on se repose. Car comme disent les chrétiens : « L’œuvre est terminée /Du grand repos, l’heure a enfin sonné »…

Merci, grand maître, de nous avoir appris, passant dessus la Martinique et toutes ces « Antilles qui ont faim, ces Antilles dynamitées d’alcool et crevées de petites véroles » (‘‘Le Cahier…’)’, le chemin initiatique qui mène au verbe fécondateur, au verbe beau, fort et juste. Et nous continuerons d’interroger les signes qui parsèment cet énigmatique « petit matin », et nous redirons le rêve de Christophe face au défi de « l’industrie de la pierre » et à cette incompréhensible indolence de la race Noire alors que « l’ocelot est aux aguets » ; et nous continuerons de nous identifier au laminaire, jusqu’à ce qu’il y ait de nouvelles saisons au Congo. Car, « il n’est pas vrai que l’œuvre de l’homme est terminée »… « et nous savons qu’il y a place pour tous… » sous le vaste préau de ce monde que nous pouvons, nous aussi, discipliner à la force de nos volontés déchaînées.

Aimé Césaire est décédé. Vive le poète ! Et que se prolonge la fête du mot magique qu’il avait si bien ouverte !

**

Note :
1 / La fôhoun (en baoulé). Dors en paix !

lundi 14 avril 2008

L'agression policière contre Laurent Pokou (1)

La grandeur (encore) humiliée de la Côte d’Ivoire

« Côte d’Ivoire, chapitre sécurité. L’ex-footballeur international Laurent Pokou a été passé à tabac à un barrage de police, la nuit d’hier… ». La mauvaise nouvelle a fait, évidement et très rapidement, le tour de Paris. Emoi au sein de la communauté des Ivoiriens. Coups de fil sur coups de fil. Et puis, et puis, les journaux. Enfin, ce dimanche, l’image de Laurent Pokou à la télévison ivoirienne, le visage tuméfié, méconnaissable. J’avoue avoir versé des larmes pour Pokou ! La première fois que j’avais eu à pleurer pour lui, c’était en 1974, je crois, à l’issue du match poignant et titanesque que l’Asec livra et perdit contre le Hafia football Club de Guinée. Laurent fut merveilleux, ce jour-là ! Trois buts en quinze minutes ! Il livra un dernier match à Abidjan, au cours des années 1980, après son retour de Rennes : un match amical entre les anciens de l’Asec et ceux de l’Africa Sports. Laurent signa, vers la fin du match, un dernier but (il en avait marqué deux ce jour-là) d’une rare beauté, après qu’il eut hérité d’une balle de Valentin Bouazo. Tout le stade s’était levé pour saluer ce but ; et il me fit pleurer (encore), mais de joie, cette fois-ci. Et depuis la fin de l’épopée de Laurent Pokou, je n’ai plus mis pied au stade, parce qu’aucun africain, moins encore un ivoirien, ne peut jouer au football comme lui. Aucun ! Pour ceux de ma génération, il est un moment important de l’histoire de la grandeur et de la respectabilité de la Côte d’Ivoire…

Hier dimanche, j’ai vu son visage méconnaissable à la télévision ; et il essuyait ce visage gentil et bonhomme avec une pochette blanche… comme la pureté de son coeur. Et je devinais, d’ici, les larmes de tristesse qui devaient inonder son cœur lourd d’amertume et de déception. Quoi : avoir fait tant et tant de choses pour ce pays, avoir fait vibrer tant et tant de personnes dans le monde entier, avoir participé à une part importante de la grandeur de ce pays, et se retrouver comme cela, un jour, humilié par un petit policier, un chenapan ! Et j’ai eu aussi pitié pour ce pays, en même temps que j’éprouvais et évaluais, une fois de plus, l’ampleur de l’agonie de ce jardin que fut la Côte d’Ivoire, notre beau pays d’hier. Notre ancienne gloire du football ivoirien et africain, celui que des foules immenses allaient voir et retournaient chez elles, ivres de joie d’avoir vu du spectacle, contente et heureuses d’avoir vu un véritable footballeur jouer au ballon, celui qui a hanté maints stades Afrique et du monde, fait la une de milliers de journaux d’ici et d’ailleurs, celui que l’on appelait « L’homme d’Asmara », « l’Empereur baoulé », « le Duc de Bretagne », etc., c’est celui-là qu’un vulgaire policier (ils ne le sont pas tous), sous ce régime, a frappé, humilié, puis traîné dans les locaux d’un commissariat !!!

On m’a même appelé de Rennes pour avoir confirmation de cette information qui a vraiment bouleversé un nombre incroyable de personnes ! Mais oui, c’est vrai : Laurent Pokou a été frappé par (un ?) des policiers... pour un contrôle routier ! Et cela se passe en Côte d’Ivoire ! Le pays de Pokou. Le plus séduisant, le plus performant des footballeurs africains des années 1970-1980. Ce rare génie du foot (comme on n’en trouve plus) que même encore aujourd’hui, la Bretagne idolâtre1. Oui, c’est celui-là qu’en Côte d’Ivoire, un vulgaire policier vient de frapper, qu’un policier peut frapper…

J’ai écouté Laurent faire le récit du martyre qu’il a subi, et j’ai eu mal. Pas seulement pour Laurent — l’idole du football des gens de ma génération —, mais mal pour ce pays, la Côte d’Ivoire. Le geste de ce policier est en effet empreint d’un symbolisme terrifiant que j’ai personnellement décodé depuis belle lurette ; et je n’ai eu de cesse d’attirer l’attention de mes concitoyens sur ce danger : le mal que représente ce pouvoir mauvais qui a secrété cette police mauvaise, assassine, antirépublicaine : là se trouve la vraie problématique de la Sécurité en Côte d’Ivoire. Le comportement d’une Police nationale envers le citoyen est non seulement indicateur de l’indice de sécurité qui règne dans un pays, mais aussi, révélateur de la nature de la gouvernance qui régit ce pays : une police agressive est toujours le reflet d’un pouvoir agressif et liberticide. Une police voyou est l’application bijective du régime qui le secrète. Il faut donc aller au-delà de ce qui est arrivé à Laurent Pokou pour mieux appréhender l’étendue de la tragédie qui nous menace désormais, dans ce pays.

Le racket policier — car ce qui est arrivé à Laurent Pokou est une des conséquences du racket — n’est pas une invention de la refondation. Il existait sous le régime de M. Bédié ; et maints articles signés de Venance Konan nous avaient alerté de ce danger : des chauffeurs de gbaka ou de taxi tués, des braquages accomplis par des policiers, des tirs sans sommation non justifiés, etc. Il ne peut donc me venir à l’esprit de dire que c’est le pouvoir de Gbagbo qui a crée le racket ; mais c’est indiscutablement le régime de Ggagbo qui le tolère, le justifie, l’encourage même en le perpétuant : les policiers eux-mêmes n’hésitent pas à dire que leurs supérieurs hiérarchiques perçoivent leurs parts du butin du racket ; et le racket est devenu une pratique légale en Côte d’Ivoire, car entendons-nous bien : tout ce qui est admis par l’Exécutif dans un pays de régime présidentialiste, devient légal.

Post-scriptum : Tiburce Koffi est coauteur, avec un Breton du nom de Jean-Yves Augel, d’une biographie en voie d’écriture, sur « Laurent Pokou, le buteur magique », (titre provisoire).

Note:
1/ Un journal breton, publié l’année dernière, lui consacrait encore au moins 4 pages, pour conter aux jeunes bretons, l’épopée de ce footballeur d’un talent hors du commun.

L'agression policière contre Laurent Pokou (2)

La complicité du pouvoir

Qu’est-ce qui autorise des policiers à se servir de pneus (d’ailleurs usagés), de briques, de bois, et de seaux d’eau pour barrer une route, faire descendre de véhicule des conducteurs et des passagers, sous prétexte de contrôles policiers ? Qu’est-ce qui empêche le chef de l’Etat de faire une déclaration officielle, intimant l’ORDRE aux forces de l’ordre, de ne plus poser de telles barrières (sales, désordonnées, antirépublicaines2) sur les routes, sauf en cas d’alerte ? Et sous peine de sanctions (avertissements, blâmes, dégradation et radiation) ? Qu’est-ce qui l’empêche de le faire, sinon la méconnaissance de ses devoirs de chef de l’Etat ? Si M. Gbagbo et ses refondateurs savaient ce qu’était l’Etat, ils sauraient que chaque bavure policière, chaque inconfort que nous crée notre police (dont aucun citoyen ivoirien n’est content), chaque personne tuée par notre police agressive, assassine et friponne, porte les marques de leurs responsabilités de dirigeants et plus encore, celle du chef de l’Etat.

Mais il y a longtemps que M. Gbagbo et ses refondateurs nous ont prouvé que diriger un Etat est une chose trop difficile pour eux. Aidons-les à ne plus faire cette corvée, en accélérant leurs départs du Palais présidentiel et des autres locaux étatiques qu’ils occupent indûment. Relisez « Paroles d’honneur » de Simone Gbagbo. Vous y verrez un hommage qu’elle rend aux Forces de l’ordre de notre pays ! Les refondateurs sont les seuls en Côte d’Ivoire à être satisfaits de nos policiers…

Non, ce qui est arrivé à Laurent Pokou est évidemment grave. De la gravité de ces choses qui vous emmènent à méditer sur le sort de ceux qui devaient être considérés comme des modèles dans ce pays, mais qui sont conspués, humiliés, menacés d’être ‘‘braisés’’ — un de leurs vilains mots. Pokou a même affirmé qu’un des policiers a dit qu’il allait « en finir avec » lui. Et il aurait pu le faire. Tranquillement. Et il serait encore en liberté. Tranquillement. Jean Hélène a été tué. Guy-André Kieffer l’a été. Le policier qui a tué Jean Hélène est en liberté, et j’ai ouï dire qu’il avait eu de la promotion !!!

Il est vrai que l’acte de ce policier n’a pas été prémédité ; mais cet agent de l’Etat ne peut pas affirmer qu’il ne sait pas qui est Laurent Pokou. Ce serait un affreux mensonge : on vient à peine de finir la CAN. Et, comme à toutes CAN, le nom et la photo de Laurent Pokou sont revenus dans les commentaires des journalistes (radio, télés, presse écrite) ; ses exploits ont été cités, des interviews lui ont été faites. Certes, la télé ivoirienne n’a pas jugé utile de nous montrer des images des buts de ce footballeur de légende (les Français en possèdent de lui – mais pas la télévision ivoirienne ; ce serait trop en demander à la RTI de Gbagbo et Soro) ; mais les journaux écrits ont abondamment parlé de Pokou. Or, selon ce que j’ai entendu, ils étaient quatre policiers sur les lieux du crime — Oui, c’est un crime. Et il est inimaginable qu’aucun d’entre eux n’ait pu mesurer la portée de l’acte qu’ils étaient en train de commettre sur cette figure de légende. Ces policiers savaient qui est ce monsieur Laurent Pokou. Mais cette référence ne leur a pas suffi pour s’empêcher de faire subir à cette figure respectable en Côte d’Ivoire, le sort que nous savons. Ces policiers n’auraient pas fait cela à Serge Kassy, ni à DJ Kaloudji, ni à… Wattao ou un des héros loufoques de ladite « galaxie patriotique » — les idoles des cerveaux de demeurés d’une société en pleine perte de valeurs référentielles !

Post-scriptum : Tiburce Koffi est coauteur, avec un Breton du nom de Jean-Yves Augel, d’une biographie en voie d’écriture, sur « Laurent Pokou, le buteur magique », (titre provisoire).

Note:
2/ Ces pneus usagés, ces récipients, ces morceaux de bois, ne peuvent être des moyens administratifs et légaux de travail.

L'agression policière contre Laurent Pokou (3)

Le sens d’un pardon

Ce qui est arrivé à Laurent Pokou doit permettre aux Ivoiriens de savoir qu’aucun d’entre nous n’est à l’abri de la folie de toutes ces gens en armes (policiers, gendarmes, militaires, milices, etc.) qui prospèrent sous ce régime incapable d’assurer la sécurité de l’honorable citoyen, à plus forte raison, celle du citoyen moyen et anonyme. Le cas de Laurent Pokou a été su ; et il a ému toute la Côte d’Ivoire ainsi que des milliers de personnes à travers le monde, car l’homme fut une célébrité et demeure une personnalité attachante — Pokou est un monsieur bien, gentil, sympathique.

Mais combien de citoyens anonymes ne font-ils pas les frais des agents de police ? Combien n’en feront-ils pas de même, aujourd’hui et demain ? Venance Konan a déjà eu à rapporter dans un de ses reportages, le cas émouvant de cette femme enceinte, que des policiers ont laissé mourir sur une de nos routes, sous prétexte qu’elle n’avait pas de… cartes d’identité ! Elle était à terme et on la conduisait dans un centre hospitalier ! Il avait indiqué l’autoroute où s’était passée cette scène, l’heure approximative, espérant par là, que des sanctions seraient prises contre les criminels. Rien ! Sous la refondation, le régime de l’impunité, que peut-il se passer ? Rien !!!

Laurent Pokou et sa famille ont dit qu’ils pardonnaient à (aux) l’agresseur (s). L’acte est certainement d’un grand symbolisme chrétien. Mais l’homme de lettres que je suis, ne peut s’empêcher de faire une autre lecture de ce pardon aux senteurs de sacrifice tout aussi symbolique : A l’Etat civil, Laurent Pokou porte aussi le nom Konan. J’ai déjà eu à signaler dans un de mes livres que des textes oraux attribuent aussi ce nom (Konan) à l’enfant que la Reine Pokou a sacrifié aux génies du fleuve furieux. L’homme porte donc deux noms symboliques : celui de la reine des Baoulé (Pokou) et celui du fils sacrificiel et sacrifié (Konan). Du temps épique de ses buts magiques et de ses dribbles et passes ensorcelés, on l’appelait l’Empereur baoulé3. Comme dans la légende, l’ex-gloire de notre footballeur a-t-il pris le parti de faire le sacrifice de son ego (son honneur bafoué), pour sauver tous ceux des Ivoiriens victimes potentiels de la barbarie de nos forces de l’ordre ? Peut-être, peut-être...
Pardonner, oui. Mais pour quel gain ? Quel sens aura ce pardon si ces pratiques continuent ?

J’ai appris que le chef de l’Etat s’apprête à rendre visite au célèbre footballeur, pour lui apporter son réconfort. Le geste est à saluer, s’il ne se perd pas dans la récupération politicienne. Ce geste est à encourager, à condition toutefois qu’il ait un sens salutaire et profitable aux Ivoiriens : que cette visite soit pour le chef de l’Etat, l’occasion et le prétexte de DECLARER HAUT et FORT, comme acte prohibé par la loi, les barrages routiers — absolument inadmissibles et porteurs de conflits entre les policiers et les automobilistes en même temps que facteurs de rackets.

Oui, si ce qui est arrivé à Laurent Pokou peut déboucher sur la fin des barrages routiers, des contrôles policiers intempestifs et inutiles, du racket abject, des agressions régulières et impunies des forces de l’Ordre sur les citoyens de ce pays, alors, alors le pardon de l’Empereur baoulé aura un sens. Sinon, nous les admirateurs inconditionnels de cet homme (et nous sommes des milliers et des milliers à travers le monde entier), nous maintiendrons notre plainte (que nous avons déjà rédigée) contre l’agresseur ; et nous en déposerons aussi une autre contre l’Etat de Côte d’Ivoire devant les tribunaux, pour pratiques terroristes sur la personne de Monsieur Laurent Pokou, ancienne gloire du football africain, modèle et référence pour des générations d’Ivoiriens et de passionnés du football à travers le monde.

Post-scriptum : Tiburce Koffi est coauteur, avec un Breton du nom de Jean-Yves Augel, d’une biographie en voie d’écriture, sur « Laurent Pokou, le buteur magique », (titre provisoire).

Note:
3/ C’est le journaliste guinéen, Boubacar Kanté qui, je crois, lui a donné ce merveilleux surnom.

dimanche 6 avril 2008

Alfred Tchétché cité dans un putsch contre Gbagbo (1)

Le temps de la terreur ‘‘bleue’’

A l’étranger où je suis en ce moment, je suis tombé par hasard, sur un article signé d’un certain Coulibaly Souleymane, correspondant régional d’un quotidien de la place. Cet article faisait le compte rendu d’un point de presse qu’avait animé un certain M. Alfred B. Koudou Tchétché, « dans la capitale administrative et politique » de notre pays (Yamoussoukro), où vit ce dernier. C’est un papier court, ramassé, comme on en demande aux correspondants régionaux — dans toutes les rédactions du monde, on n’a jamais suffisamment de place pour les faits régionaux, moins encore pour les plumes ‘‘régionales’’. Bref, c’est un papier ramassé qui dit, en peu de mots, sans état d’âme, sans aucun commentaire (neutralité journalistique oblige) ce qui est arrivé à ce « monsieur Alfred Balié Koudou Tchétché ». Un petit papier, timide et squelettique, signé d’une plume régionale, sans importance, qui parle, d’une voix neutre, de M. Alfred Balié Koudou Tchétché. Un petit papier…

Seulement, voilà : si le nom du journaliste qui a signé ce papier ne dit rien à l’opinion, celui de M. Alfred Tchétché interpelle, quant à lui, de nombreuses personnes ; car cet Alfred Balié Koudou Tchétché n’est, en réalité, pas n’importe qui. Ce n’est pas d’un individu anonyme, ni suspect qu’il s’agit. Il s’agit d’Alfred Tchétché, un homme connu. Un homme bien, comme on dit : élégant, galant aussi, gentil, un bon bourgeois qui écoute Chopin et Ray Charles, boit du grand cru et lit de grand auteurs…

J’ai le privilège de compter au nombre de ses amitiés ; car être un ami d’Alfred Tchétché est en effet un privilège. C’est pourquoi, ce petit papier signé d’une plume anonyme a eu de l’importance à mes yeux ; tout comme il a dû en avoir aux yeux de tous ceux (et je devine combien ils doivent être aussi sélects que nombreux) qui font partie des amis d’Alfred Tchétché. Et c’est aussi pourquoi, le cas d’Alfred m’interpelle, me chatouille les doigts, me dérange et m’alerte.

Quoi ! Alfred tchétché comploter contre M. Gbagbo Laurent ? Et qui l’a dit ? Un journal de la place. Un journal de couleur bleue… je devine ; car il n’y a qu’eux et eux seuls qui peuvent se donner licence d’écrire de telles insanités dans leurs journaux impolis et impunis.

Non, que surtout, l’on ne se mêle pas d’altérer ma juste colère. Je dis qu’il est temps que l’Olped et l’UNJCI, s’ils veulent conserver leur crédibilité, interpellent ces journaux de couleur bleue, financés par les hommes du pouvoir et au service de ce pouvoir (tout ivoirien le sait) et qui se sont mis aussi au service d’une cause mauvaise : offrir aux escadrons de la mort (dont tout ivoirien sait qu’il sont une émanation du régime) une liste de gens à tuer, pour la tranquillité du pouvoir de Gbagbo.

Venance Konan et moi sommes leurs cibles depuis un mauvais bout de temps. Au début du mois de janvier 2008, j’ai ainsi appris (de nombreux ivoiriens — parents et amis de même), que j’étais au Bénin durant les mois de novembre à janvier où je serais entrain de participer, au service de M. Brahima Coulibaly dit IB, sergent déserteur de notre Armée nationale, à un complot contre M. Gbagbo. Et le journaliste signataire de ce papier d’en appeler à une réaction des forces judiciaires et à celles de la répression pour que Venance et moi, soyons mis aux arrêts et traités comme des putschistes ! Mes parents et proches amis, ainsi que mes fidèles lecteurs qui savaient où j’étais (nous étions en communication téléphonique régulière, sur des lignes directes et des portables) avaient, heureusement pour moi, vite compris que ces journaux répandaient des mensonges éhontés. Plus grave, c’est sur le site du cabinet de la Présidence de la République que j’ai retrouvé, dans sa version intégrale, cet article qui m’incriminait…

J’ai saisi M. Zio Moussa, Pdt de L’oloped ( ?) de cette affaire. Venance Konan, dans un article, s’est quant à lui, interrogé de savoir comment, dans un pays normal, des journalistes peuvent-ils demander à un régime de mettre aux arrêts des collègues qu’ils ont décrétés putschistes !!!

En avril 2004, j’ai été surpris de lire dans un article publié dans un de ces journaux de couleur bleue, que j’étais un apparatchik (un traître à la patrie)… à une période où sévissaient les escadrons de la mort ! Après enquête, il m’est revenu que le journaliste qui avait écrit ce papier, hier de mes amis, pro Guéi affirmé contre Gbagbo, après être passé par le PDCI (ce qui n’était un secret pour personne), mais désormais gbagboïste (après la mort de Guéi et aussi après que l’Accord de Marcoussis avait reconnu la légitimité du pouvoir de Gbagbo – qu’il n’aimait pas du tout), faisait partie des nouveaux chouchous du Palais qui s’étaient donnés pour vocation républicaine de détecter les « traîtres à la patrie ». Et livrer leurs noms à la vindicte. En attendant que les escadrons de la mort parachèvent la besogne, par élimination physique de la personne mise en cause.

Il y a un dangereux précédent : en 1994, le journal bleu emblématique « La voie », avait publié une photo historique de quatre grandes figures de la gauche ivoirienne (Gbagbo, Dakouri, Moriféré, Zadi), en la falsifiant de manière inquiétante : une cagoule fut mise par le monteur (la décision avait été prise en conseil de rédaction) sur la tête de Bernard Zadi, écrivain de renom, auteur dramatique et respectable intellectuel et enseignant de ce pays ! Exactement comme on le faisait chez les Soviétiques, sous Staline. Aucun intellectuel du FPI ne s’était senti indigné par un acte aussi crapuleux et aux implications idéologiques vraiment inquiétantes…

Alfred Tchétché cité dans un putsch contre Gbagbo (2)

Diffamations, montages : talents d’une presse assassine

J’ai fait ces rappels à dessein, pour souligner le danger, tout le danger qui pèse sur ce pays, et que Bernard Zadi avait perçu depuis les années 1980 : la Grande menace1 pour les Ivoiriens, que représenterait ce régime dont il avait détecté la propension à l’autoritarisme outrancier et répressif, ainsi que les prédispositions au stalinisme dangereux — qu’il a d’ailleurs affichées au cours des années 1990 : le populisme de la refondation est d’abord et avant tout, une arme du crime savamment préparée. Et les rédactions des journaux bleus sont pourvues de ces mains assassines de deuxième degré. Mais il est temps de revenir au cas Tchétché.

Comme je le disais, je connais Alfred Tchétché. Les agents secrets et autres barbouzes qui signent dans les journaux bleus et à Fraternité Matin, diront sans doute que c’est une preuve supplémentaire de ce qu’il est effectivement, un conspirateur ! Qu’à cela ne tienne, je connais Alfred Tchétché. C’est un brillant homme de lettres, un monsieur cultivé qui vous parle avec aisance de Montaigne, de Sophocle, Senghor, Salvador Dali, Lautréamont, Karl Popper, Simone de Beauvoir, Mao, Tima Gbaï, Césaire, Lénine, Breton... Sa conversation est brillante, et plaisante est son commerce. A Yamoussoukro où il professe, Alfred travaille beaucoup à la promotion des Lettres et des arts, assume une présence remarquable au sein de l’Alliance française. C’est, au total, un intellectuel aimé de nombreuses personnes. Mais ce n’est pas cela qui justifie les lignes que je rédige ici à son attention. Alfred Tchétché est (chose renversante) un… admirateur de Gbagbo ! Et oui !!!

Témoignage. Ma dernière rencontre avec lui à Yamoussoukro, date de l’année dernière. Alfred (qui m’avait invité à manger) s’en était pris à moi parce qu’il avait estimé que j’étais trop sévère envers Gbagbo. En même temps qu’il était lui-même dur envers le système en général, il savait, à chaque fois, trouver les mots d’excuse pour justifier tels manquements graves du chef de l’Etat. En tout et pour tout, il fut d’une telle complaisance (qui m’écoeurait) quand il s’agissait de Gbagbo, qu’il avait commencé à m’énerver ; et il m’énerva en effet, surtout lorsqu’il se proposa d’entreprendre des démarches pour me réconcilier avec le chef de l’Etat et qu’il tenta (désastre !) d’obtenir de moi, la promesse de ne plus écrire d’articles critiques sur Gbagbo. Quand je le quittais pour regagner Abidjan, j’étais un peu mécontent de lui. Et depuis, j’ai mis un peu de distances dans nos relations...

On peut donc comprendre, outre la surprise, l’indignation que j’ai ressenties quand j’ai lu, dans cet article, que le nom d’Alfred Tchétché (que Laurent Gbagbo connaît) a été cité dans un journal de couleur bleue, comme faisant partie d’un groupes de conspirateurs qui veulent attenter à la vie du chef de l’Etat ! Et j’ai eu peur : enfin…, où allons-nous ? Que signifie cette vilaine presse qui voit des ennemis de Gbagbo partout ? Alfred Tchétché, conspirer contre Gbagbo ? Allons, allons, de quoi me parle-t-on ? « On est où là ? », comme dirait l’Ivoirien taquin.

L’accusation portée contre cet homme résonne à mes oreilles comme une menace sur la tête des intelligences libres de ce pays. Comme tout homme réellement cultivé, Alfred Tchétché n’est pas de la race de diplômés qui se censure, pour faire plaisir aux Princes. Alfred a l’habitude d’exprimer librement ses opinions. Et je devine, d’ici, le traquenard dans lequel il a dû se retrouver, un soir de gaie compagnie au milieu de gens qu’il ne connaissait pas, tous : il a sans doute émis un point de vue réservé ou critique sur un acte posé par Gbagbo-le-chef-divin-qui-poursuit-le-combat-de-Moïse ! Et cela a suffi pour qu’il soit cité au nombre des conspirateurs. Alfred Tchétché putschiste ? Mon œil ! Refondateurs et autres mains criminelles de ce régime, ne touchez surtout pas à Alfred Tchétché. Ne le touchez pas !

Note
1 - Titre d’un merveilleux film, avec comme acteur principal, Richard Burton.

jeudi 3 avril 2008

Hommage au combat des femmes de Côte d’Ivoire (1)

Oser défier la peur de la répression

A toi la femme anonyme
A toi la femme des travaux pénibles
A toi la ménagère de Yop-la-misérable
Et toi aussi, la vendeuse d’Abobo-la-sale

A toi la putain généreuse de Treich-la-vile
Et à toi aussi, l’ouvrière matinale de Vridi
Comment ne pas te nommer, toi Mami de Cocody
Et toi, la maquisarde de Koumassi

Femmes de Marcory, femmes de Port-Bouët
Femmes d’Attécoubé, femmes d’Adjamé
Femmes de mon pays
Femmes de ma Côte d’Ivoire en péril

A vous, ces femmes d’hier, d’aujourd’hui, de demain
Que je vous salue, vous salue, enfin !!!

Il me faut justifier cette ode peu adroite qui ne cadre pas du tout avec le climat formel d’une chronique de journaliste. Comme de nombreux Ivoiriens en ce moment absents du pays, j’ai appris, par la voie des ondes, la bienfaisante nouvelle du soulèvement des femmes de Côte d’Ivoire, qui ont colonisé les trottoirs d’Abidjan au cours des journées du lundi et du mardi, pour protester contre la hausse des prix. Journées folles m’en a-t-on dit. Journées de révolte, de refus de l’inacceptable, serait-il plus exact d’en dire. Et il m’a plu de célébrer cette manifestation qui, plus que l’expression d’un mécontentement ponctuel, épouse, à mon sens, les allures d’un combat de libération, dans un pays où les actes de régression de la démocratie ne se comptent plus.

Et voici donc mes femmes-ivoires sur les trottoirs d’Abidjan. Les trottoirs, non pas pour y exhiber comme naguère au cours des nuits de vice, quelques corps marchands, mais pour y dire la seule parole qu’il sied que disent des êtres opprimés par les besoins quotidiens : se laver, se nourrir, s’habiller, se déplacer. Non, pas même se distraire, ni s’instruire, mais tout simplement se laver, se nourrir, s’habiller, se déplacer ; c’est-à-dire, répondre aux besoins premiers qui fondent l’être humain dans sa donne la plus naturelle… la plus primitive.

On retiendra donc que les femmes ivoiriennes ont crié leurs misères, leurs ras-le-bol de ces hausses régulières des prix des denrées premières ; et c’est juste et bon que ce soient elles qui l’aient fait, respectant en cela le rôle que la société leur a toujours reconnue : veiller à la conservation des valeurs essentielles de la famille et du foyer quand l’homme (qui s’est octroyé le titre, pas toujours mérité, de chef de famille) a prévariqué en trichant avec le grand devoir citoyen. Alors, comme cela est souvent arrivé dans l’histoire, les femmes ivoiriennes ont pris leurs responsabilités : deux jours de manifestation ; deux jours d’expression légitime de leur mécontentement. Le roi a alors daigné annoncer des mesures sociales pour les apaiser ; plus exactement, pour apaiser le peuple. C’est un des aspects importants de ces moments forts que les Abidjanais viennent de vivre. Et c’est cet aspect qui s’offre à mon intelligence critique.

Il y a en effet, quelques trois ou quatre mois, « le roi-fêtard1» de ce pays disait, plein de suffisance et de mépris pour les pauvres ivoiriens (désormais ses sujets2), qu’il entendait les supplications de la population qui croulait sous le poids de la misère ; mais qu’il n’y pouvait rien, car il ne pouvait pas suivre deux écureils à la fois ; or, l’écureil qui l’intéressait, lui, c’était l’écureil « élection ». C’est pourquoi ce qui le préoccupait, c’était la sortie de crise. Je ne m’attendais donc pas à l’observer intervenir dans le débat social actuel au point de le voir ‘‘monter au créneau’’ (comme on dit) pour calmer la fureur des femmes. Rendons-lui justice : les propos qu’il a tenus (du moins ceux que j’ai entendus sur rfi-la-mal-aimée des refondateurs) m’ont paru sages, responsables, quelque peu rassurants, voire rassurants.

Oui, être à l’écoute du peuple, être attentif à ses souffrances, et prendre des mesures pour le soulager un tant soit peu de ses soucis les plus cruciaux, voilà comment doit se comporter un chef, et non point comme un fêtard habité par l’esprit du dimanche. Ah, cette virée à la rue Princesse avec un ministre français !!! Comme si un chef d’Etat de France distrairait de son temps pour accompagner son homologue africain à Pigalle ou à Barbès, une nuit d’envies lubriques !!! Et après cela, on s’étonnera que le Blanc ne nous prenne pas au sérieux, et on viendra crier encore à la revendication de notre dignité bafouée, de notre souveraineté…, etc., etc. N’importe quoi !!!

Le second aspect de cette crise sociale (oui, c’en est une), est le comportement des forces de l’ordre. J’ai appris sur rfi qu’il y a eu un mort au cours de ces diverses manifestations. Inclinons-nous sur la dépouille de cette énième victime du régime des refondateurs. La comptabilité macabre continue donc sous le règne de ces étranges faiseurs du bonheur du peuple. Un mort ! J’avais craint le pire — ce régime nous avait habitués à plus de morts que cela. Un mort. C’est toujours, certes, une tragédie, dans la mesure stricte où la mort — cessation du souffle divin qui nous habite — marque la fin absolue de l’existence d’un être ; mais deux jours de manifestations de cette ampleur, sous la refondation, auraient débouché, il y a de cela une ou deux années, sur des tueries en masse… des centaine de morts. Ce qui n’a pas été le cas pour les récentes manifestations qui furent pourtant de grande envergure.

Notes
1/
La belle appellation nous vient du quotidien Le Nouveau Réveil.
2/ Le journal Le temps, un des canaux de la propagande populiste du roi, titrait récemment et fort maladroitement que « Gbagbo met à ses pieds, les Goly, les Kôdê et les Akouê». Mettre à ses pieds des tribus, dans une République ! Oui, il faut oser l’écrire ! C’est vraiment le temps des refondateurs

Hommage au combat des femmes de Côte d’Ivoire (2)

Le temps de l’alliance nationale ?

Il y a donc, selon moi, de quoi féliciter nos forces de l’ordre, non pas pour n’avoir tué qu’une seule personne, mais pour n’avoir pas versé dans la barbarie et les excès de tueries que commettent souvent, dans ce genre de situations, les Corps habillés des pays sous développés, dans l’accomplissement de leurs devoirs civiques et républicains : assurer à tout prix l’ordre ; en pratique, cela signifie : veiller au maintien du pouvoir. Peut-être que l’heure de la grande réconciliation entre le peuple ivoirien et ‘‘ses’’ Corps habillés approche ; cette heure où, fatigués eux aussi des manquements de ce régime qui n’en finit pas de piller notre pays, habités soudain par la conscience de leurs devoirs républicains (devoirs qu’ils ont souvent trahis), nos policiers, nos gendarmes et nos militaires uniront leurs forces républicaines à celles, nationales, des milliers de désespérés et de déçus de la refondation, qui espèrent en une fin rapide de ces prédateurs...

Ce qu’il faut retenir pour l’heure, c’est la victoire des femmes ivoiriennes sur la peur de la répression. Ce qu’il faut retenir aussi, c’est le sens de l’anticipation du chef de l’Etat qui, en politicien avisé, sait que les manifestations (apparemment mineures) de cette nature, finissent toujours par emporter les régimes peu vigilants. Ce qu’il faut retenir enfin, c’est que notre chef a peut-être compris que l’obsession des élections ne doit pas l’empêcher de veiller au bien-être du peuple : après tout, le but des élections, c’est d’obtenir du peuple, le droit de le diriger...

Les femmes ont donc dit non à l’inacceptable et, conséquemment, elles ont indiqué la voie à suivre à tous ceux d’entre les nôtres qui couvent en eux un potentiel de refus à exprimer dans ce pays qui se meurt chaque jour, sous l’action toxique d’une ‘‘dirigeance’’ mauvaise. Le courage de ces femmes doit pouvoir faire tâche d’huile, car il y a encore tant et tant de situations inacceptables à dénoncer, tant de cris à pousser encore, tant d’incongruités et d’anormalités à refuser dans notre pays : l’école déstructurée, les structures sanitaires sous équipées, les détournements de fonds réguliers, l’argent fou, le terrorisme d’Etat, l’insalubrité, la mort de l’éthique, la prostitution galopante, l’alcoolisme en milieu scolaire, la corruption légalisée, la gestion triste et occulte de nos matières premières (café, cacao, pétrole, gaz, le bois, le diamant, etc.), la sombre culture de la luxure dans laquelle plonge ce pays ; par-dessus tout, le ‘‘je m’en foutisme’’ du chef, le populisme outrancier qui guide son agir politique, sa promptitude à dévaloriser l’institution républicaine et l’image de la Côte d’Ivoire.

Oui, du strict point de vue de la qualité de la fonction et des responsabilités qui sont celles d’un chef d’Etat, cette virée nocturne à la rue princesse avec M. Jack Lang, reste un sommet de l’indécence, une énorme gourde administrative : la manifestation indiscutable du peu de considération que le chef d’Etat ivoirien a souvent eu à exprimer pour le Protocole d’Etat qui fut, hier, sous Houphouët, un des points essentiels de la qualité étatique de notre pays.

Je le répète à l’envie et au besoin : à l'image de nombreux chefs d'Etats africains, M Gbagbo, ne sait pas très bien ce que c'est que l'Etat, dans ses données conceptuelles et symboliques. Pour nombre d'entre eux, comme M. Gbagbo, « l’Etat est une chose que le Blanc a oubliée en Afrique, en partant 3». Aussi, pour nos chefs, la fonction de chef d'Etat se résume-t-elle aux budgets faramineux de souveraineté qu'ils peuvent s'octroyer au mépris des besoins de leurs peuples, aux licences ludiques et charnelles qu’ils s’accordent, à la culture de la jouissance, au culte de la personnalité, à l’obsession de la conservation du pouvoir, au plaisir démoniaque de la transgression ; mais jamais aux interdits ! Jamais aux renoncements. Or, un chef, un véritable chef, doit accepter de renoncer aux plaisirs populaires auxquels cède facilement le citoyen grossier et fat. Diriger, c’est apprendre à renoncer à soi. Mais ça, c’est trop en demander à M. Gbagbo et aux rois nègres !

En tout cas, personne ne saura me prouver que c’est à la rue Princesse — l’espace des résidus et des improductifs de notre société — que se trouve l’image qualifiante et qualitative de la Côte d’Ivoire. Et comme je comprends la superbe indignation du Pr Alassane Salif Ndiaye qui nous a gratifié d’un papier magistral — la conférence du professeur ! — sur cette question. Merci Professeur, de nous avoir ramenés au souvenir des Belles lettres et des combats intellectuels pour la survie des valeurs essentielles que doit cultiver l’élite d’une société ! Sublime ! Après tout, être un intellectuel, ce n’est rien d’autre que cela : ne jamais renoncer à défendre ces valeurs-là, sans lesquelles, un peuple n’a plus d’âme ; ne jamais renoncer à faire usage de la plume pour rappeler aux princes prévaricateurs, leurs vrais devoirs, et les ramener sur le chemin des choses droites. Oui, les vêtements de chef d’Etat sont, visiblement, trop contraignants pour M. Gbagbo. Prenons-en acte, Ivoiriens, et attelons-nous à le défaire de ce manteau de Nessus… pour lui rendre service.

Tuez donc en vous la peur, gens de mon pays. Osons chaque jour un peu plus, si nous voulons vraiment mettre fin à nos misères collectives dues aux désespérances de ce régime malhabile. A cet effet, je vous invite à méditez sur ces deux belles citations que je vous propose, pour aujourd’hui : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles4 ». La seconde nous vient de Gustave Le Bon : « Un dictateur n’est qu’une fiction. Son pouvoir se dissémine en réalité entre de nombreux sous dictateurs anonymes et irresponsables dont la tyrannie et la corruption deviennent bientôt insupportables

Il ne fait plus aucun doute que, pour le peuple ivoirien, l’heure de l’insupportable et de l’inacceptable a sonné. Merci, femmes de mon pays, d’avoir indiqué le chemin de la libération.

Femmes de mon pays
Femmes de ma Côte d’Ivoire en péril
A vous, ces femmes d’hier, d’aujourd’hui, de demain
Oui, je vous salue, vous salue, enfin !!!

Notes
3/ Cette anti-définition ou définition par l’absurde, est de Ernest Kakou Tigori. Lire Pauvre Afrique… tu te relèveras, Essai, Abidjan, édition Assanglo, 2004.
4/ Extrait des Lettres de Sénèque à Lucilius.