lundi 14 avril 2008

L'agression policière contre Laurent Pokou (1)

La grandeur (encore) humiliée de la Côte d’Ivoire

« Côte d’Ivoire, chapitre sécurité. L’ex-footballeur international Laurent Pokou a été passé à tabac à un barrage de police, la nuit d’hier… ». La mauvaise nouvelle a fait, évidement et très rapidement, le tour de Paris. Emoi au sein de la communauté des Ivoiriens. Coups de fil sur coups de fil. Et puis, et puis, les journaux. Enfin, ce dimanche, l’image de Laurent Pokou à la télévison ivoirienne, le visage tuméfié, méconnaissable. J’avoue avoir versé des larmes pour Pokou ! La première fois que j’avais eu à pleurer pour lui, c’était en 1974, je crois, à l’issue du match poignant et titanesque que l’Asec livra et perdit contre le Hafia football Club de Guinée. Laurent fut merveilleux, ce jour-là ! Trois buts en quinze minutes ! Il livra un dernier match à Abidjan, au cours des années 1980, après son retour de Rennes : un match amical entre les anciens de l’Asec et ceux de l’Africa Sports. Laurent signa, vers la fin du match, un dernier but (il en avait marqué deux ce jour-là) d’une rare beauté, après qu’il eut hérité d’une balle de Valentin Bouazo. Tout le stade s’était levé pour saluer ce but ; et il me fit pleurer (encore), mais de joie, cette fois-ci. Et depuis la fin de l’épopée de Laurent Pokou, je n’ai plus mis pied au stade, parce qu’aucun africain, moins encore un ivoirien, ne peut jouer au football comme lui. Aucun ! Pour ceux de ma génération, il est un moment important de l’histoire de la grandeur et de la respectabilité de la Côte d’Ivoire…

Hier dimanche, j’ai vu son visage méconnaissable à la télévision ; et il essuyait ce visage gentil et bonhomme avec une pochette blanche… comme la pureté de son coeur. Et je devinais, d’ici, les larmes de tristesse qui devaient inonder son cœur lourd d’amertume et de déception. Quoi : avoir fait tant et tant de choses pour ce pays, avoir fait vibrer tant et tant de personnes dans le monde entier, avoir participé à une part importante de la grandeur de ce pays, et se retrouver comme cela, un jour, humilié par un petit policier, un chenapan ! Et j’ai eu aussi pitié pour ce pays, en même temps que j’éprouvais et évaluais, une fois de plus, l’ampleur de l’agonie de ce jardin que fut la Côte d’Ivoire, notre beau pays d’hier. Notre ancienne gloire du football ivoirien et africain, celui que des foules immenses allaient voir et retournaient chez elles, ivres de joie d’avoir vu du spectacle, contente et heureuses d’avoir vu un véritable footballeur jouer au ballon, celui qui a hanté maints stades Afrique et du monde, fait la une de milliers de journaux d’ici et d’ailleurs, celui que l’on appelait « L’homme d’Asmara », « l’Empereur baoulé », « le Duc de Bretagne », etc., c’est celui-là qu’un vulgaire policier (ils ne le sont pas tous), sous ce régime, a frappé, humilié, puis traîné dans les locaux d’un commissariat !!!

On m’a même appelé de Rennes pour avoir confirmation de cette information qui a vraiment bouleversé un nombre incroyable de personnes ! Mais oui, c’est vrai : Laurent Pokou a été frappé par (un ?) des policiers... pour un contrôle routier ! Et cela se passe en Côte d’Ivoire ! Le pays de Pokou. Le plus séduisant, le plus performant des footballeurs africains des années 1970-1980. Ce rare génie du foot (comme on n’en trouve plus) que même encore aujourd’hui, la Bretagne idolâtre1. Oui, c’est celui-là qu’en Côte d’Ivoire, un vulgaire policier vient de frapper, qu’un policier peut frapper…

J’ai écouté Laurent faire le récit du martyre qu’il a subi, et j’ai eu mal. Pas seulement pour Laurent — l’idole du football des gens de ma génération —, mais mal pour ce pays, la Côte d’Ivoire. Le geste de ce policier est en effet empreint d’un symbolisme terrifiant que j’ai personnellement décodé depuis belle lurette ; et je n’ai eu de cesse d’attirer l’attention de mes concitoyens sur ce danger : le mal que représente ce pouvoir mauvais qui a secrété cette police mauvaise, assassine, antirépublicaine : là se trouve la vraie problématique de la Sécurité en Côte d’Ivoire. Le comportement d’une Police nationale envers le citoyen est non seulement indicateur de l’indice de sécurité qui règne dans un pays, mais aussi, révélateur de la nature de la gouvernance qui régit ce pays : une police agressive est toujours le reflet d’un pouvoir agressif et liberticide. Une police voyou est l’application bijective du régime qui le secrète. Il faut donc aller au-delà de ce qui est arrivé à Laurent Pokou pour mieux appréhender l’étendue de la tragédie qui nous menace désormais, dans ce pays.

Le racket policier — car ce qui est arrivé à Laurent Pokou est une des conséquences du racket — n’est pas une invention de la refondation. Il existait sous le régime de M. Bédié ; et maints articles signés de Venance Konan nous avaient alerté de ce danger : des chauffeurs de gbaka ou de taxi tués, des braquages accomplis par des policiers, des tirs sans sommation non justifiés, etc. Il ne peut donc me venir à l’esprit de dire que c’est le pouvoir de Gbagbo qui a crée le racket ; mais c’est indiscutablement le régime de Ggagbo qui le tolère, le justifie, l’encourage même en le perpétuant : les policiers eux-mêmes n’hésitent pas à dire que leurs supérieurs hiérarchiques perçoivent leurs parts du butin du racket ; et le racket est devenu une pratique légale en Côte d’Ivoire, car entendons-nous bien : tout ce qui est admis par l’Exécutif dans un pays de régime présidentialiste, devient légal.

Post-scriptum : Tiburce Koffi est coauteur, avec un Breton du nom de Jean-Yves Augel, d’une biographie en voie d’écriture, sur « Laurent Pokou, le buteur magique », (titre provisoire).

Note:
1/ Un journal breton, publié l’année dernière, lui consacrait encore au moins 4 pages, pour conter aux jeunes bretons, l’épopée de ce footballeur d’un talent hors du commun.

1 commentaires:

Unknown a dit…

J'ai été stupéfaite d'apprendre cette terrible nouvelle au sujet de Laurent.
Laurent, sa femme Thérèse ont été des amis formidables quand ils étaient à Rennes et nous avons passé des moments inoubliables dans leur maison à Pacé.
Mon frère Eric, maintenant décédé, était le parrain de leur fils, Erwan.
Je suis allée les accompagner à l'aéroport quand ils sont retournés en Côte d'Ivoire, çà été un grand déchirement. Nous sommes restés en contact pendant quelques temps, et puis plus de nouvelles, mes courriers sont restés sans réponse.
Laurent est venu à Rennes, invité par le Cercle Paul Bert Football, j'avais souahité, auprès des dirigeants de ce club, pourvoir le revoir, mais on m'a gentillement fait comprendre que ce n'était pas possible.
J'aimerais tant les revoir. Si vous pouvez m'aider, je serais heureuse de pouvoir les contacter.Je vous donne mes coordonnées :
Véronique BRIERE-LAVIOLETTE
20 rue de la croix Herpin
35700 RENNES
madimeki@gmail.com ou veroniquebriere@neuf.fr