lundi 15 septembre 2008

Si j’étais président

Mi tchissié tchin angounda
Ma parole du lundi

Le dire ou… périr. Si j’étais président, je commencerais par le commencement : m’entourer de gens qui satisferaient à quatre exigences majeures : la compétence, la performance — ce ne sont pas les mêmes choses — la droiture morale, l’aptitude au renoncement. Renoncement aux vanités de ce monde : le luxe, l’argent facile et non mérité, les maisons coûteuses et aux prix de construction hors de la bourse d’un fonctionnaire de l’Etat (fût-il haut fonctionnaire), les cylindrées à fesses-que-veux-tu ?


Ces quatre exigences me permettront de composer un gouvernement sélectif, fait des meilleurs (dans leurs domaines respectifs) que notre société aura produits dans les secteurs essentiels d’activités qui déterminent la vie d’une nation. Les voici, dans l’ordre des urgences et valeurs que j’aurais déterminées :
1. La Culture et l’Education nationales
2. La Défense et la Sécurité
3. L’Economie et les Finances
4. L’Environnement, l’Urbanisation et la Construction
5. La Santé
6. L’Agriculture et la Paysannerie
7. L’Industrie, le Commerce et la Condition ouvrière
8. La Justice, l’Ethique, la condition de la Femme
9. Le Travail et l’Enseignement professionnel
10. la Science et la technologie
11. La Communication et l’Information
12. Le Sport, les Loisirs et la Qualité de la vie.

Ce sera donc un gouvernement de 12 ministres. Les 12 hommes les plus méritants, les plus performants, les plus productifs, les plus exemplaires d’entre la population de plus de 18 millions que nous sommes actuellement. Ils seront au nombre de 12… comme les tribus antiques d’Israël ; douze, comme les apôtres du Christ. Comme eux, ils seront les hommes du renoncement et du risque ; le risque de tracer une voie nouvelle, le risque aussi d’être incompris ; mais le risque, surtout, de montrer un chemin autre que celui, large et vulgaire promu par les chefs nuls, brouillons, nègres, bavards et rigolards qui ont détruit ce pays naguère promesse dans l’océan des désespérances que donne à voir ce continent. Ils seront 12. Rien que 12 ; mais 12 volontaires. Mieux que Stakhanov, ils seront des samouraïs de la tâche, des gens de l’honneur suprême : aptes et prêts au suicide, en cas d’échec ! Bref, ils seront l’élite ; et comme tels, ils seront des modèles, des icônes pour des générations…

Douze, 12 ministres, afin de réduire le train de vie de l’Etat. Douze, pour gagner en efficacité ; 12, afin de montrer aux nègres que les gouvernements de 30, 50, 40 ou 75 ministres sont inutilement lourds, dispendieux, protocolaires et improductifs ; pis, ce sont des rendez-vous de prédateurs… comme ces rebelles aux joues devenues grasses, ces mauvais étudiants guévaristes en costumes et cravates qui roulent dans les cylindrées noires climatisées, dorment dans des palaces, bénéficient d’une garde de sécurité impressionnante, ont des budgets de souveraineté, des salaires, dirigent des gouvernements légaux tout en continuant d’occuper illégalement une grande partie du territoire national avec leurs filous ! Une autre histoire de nègres ! Mais qui, qui donc pourrait nous débarrasser de toute cette racaille ?...

Ah, si j’étais président ! Je mettrais au travail toute cette jeunesse infectée de zouglou anharmonique, de coupé décalé bruyant ; cette jeunesse amante des trottoirs désolés ; ces bras oisifs, toute cette énergie vagabonde, tout ce gaspillage inacceptable et incompréhensible de notre réservoir de rêves et d’espoirs ruinés par des politiques de dirigeants truands qui ont tronqué l’idéal d’hier contre la satisfaction égoïste de règnes autocentrés — roi anachronique terrorisant un peuple de sujets sans défenseur ! Bon dieu, où, mais où donc est l’opposition dans ce pays ? Dans les journaux. Rien que les journaux ! Déclarations farfelues ! Culte de la personnalité ! Des sondages bidons ! Quelques meetings de temps à autre (pour se rappeler qu’ils sont dans l’opposition !) et se donner l’illusion d’être encore une voix (e) qui compte. Et la rue ? Elle est occupée par le roi, ses barbouzes, ses sbires : la rue, c’est sa culture de base ; alors, il la politise à outrance et fait une politique de rue et de la rue ! N’importe quoi !...

Si j’étais président ! Je suspendrais le mandat de tout maire dont le quartier serait sale, mal organisé, bruyant, mal géré, mal éclairé et en nommerait d’autorité un autre avec des impératifs et un échéancier précis. Si j’étais président, j’interdirais, conformément aux dispositions constitutionnelles, toute propagande religieuse sur les antennes de la télévision de l’Etat laïc que je suis chargé d’administrer. Si j’étais président, je ferais interdire l’accès des médias d’Etat à tout pasteur qui promettrait des miracles au peuple ; parce que le seul miracle dont nous avons besoin, c’est la reconversion de mon peuple aux vertus de l’effort, du travail, de la confiance en soi.

Si j’étais président, je demanderais à tout policier de rédiger un dossier de cinq pages manuscrites (sans ratures) sur tout véhicule qu’il aurait arrêté pour contrôle ; ces pages devront être cosignées par le conducteur ; j’exigerais de même de chaque policier, un rapport de dix pages (toujours manuscrites et sans ratures) sur toute personne à qui il aurait demandé les papiers d’identité, alors que rien ne justifiait ce contrôle. Si j’étais président, je suspendrais le mandat de tout maire qui laisserait des policiers mettre des pneus sur les voies publiques, afin d’empêcher la fluidité routière. Le commissaire du secteur incriminé serait suspendu de six mois de salaire avec comme punition, assurer la garde de nuit, les jours de pluie, à l’entrée de l’hôpital psychiatrique de Bingerville ! Pendant 19 mois...

Si j’étais président, je serais le premier à faire les sacrifices lorsque les Américains et les Arabes s’amuseraient à provoquer une crise du pétrole qui accentuerait les difficultés de mon peuple. Si j’étais président, je ne chercherais pas à tricher pour me maintenir au pouvoir, ni à diviser l’opposition pour montrer mes capacités de nuisance et faire honneur à ma (sale) réputation de monstre politique. Si j’étais président, j’aurais eu honte d’avoir signé un mandat infernal, un mandat souillé par le sang, les scandales financiers, le non respect de l’éthique…

Si j’étais président d’un pays comme cette Côte d’Ivoire que j’ai conduite au désastre en détruisant sa jeunesse scolaire et estudiantine, et en souillant la conscience des adultes par l’argent de la corruption qu’est mon impressionnant budget de souveraineté… eh bien, si j’étais ce président-là, j’annoncerais superbement ma démission de l’Exécutif, ou bien je disparaîtrais dans un honorable suicide !

Le dire ou… périr : notre constitution devrait songer à prendre en compte, le suicide du Président de la République en cas d’échec dûment constaté par les (véritablement) libres penseurs du pays. Cela éviterait les coups d’Etat, les rebellions et rebelles stupides et inconséquents… comme les nôtres.

lundi 8 septembre 2008

Gouvernements bonbons

Mi kissié tchin angounda
Ma parole du lundi


Le dire ou… périr. La manière dont les uns et les autres (les politiciens et les journalistes politiques de notre pays) posent la question du prochain remaniement ministériel me paraît manquer de raison, de bon sens républicain et d’approche progressiste, sinon évolutionniste : ce remaniement, en effet, est perçu comme une mesure à l’encontre de l’opposition. Et l’on suspecte même le chef de l’Etat (qui, depuis la signature de l’accord de Ouga, a retrouvé son manteau de Président de la République — l’a-t-il d’ailleurs jamais perdu) de vouloir faire entrave au processus devant aboutir à la prochaine présidentielle, en envisageant la dissolution du l’actuel gouvernement. Et c’est tout juste si au RHDP, l’on ne crie pas au complot. Disons-le tout net : n’exagérons pas !...


Le gouvernement sera-t-il dissous ou non ? Suspens de grand feuilleton ! « Soro et Gbagbo s’entredéchirent à propos de la dissolution du gouvernement ». « Conseil de ministres, le Président Gbagbo déclare : j’étais venu pour dissoudre le gouvernement ! » Et les journaux du pays d’illustrer cette déclaration avec une photo de notre chef-bien-aimé dans une des postures qui le caractérisent le plus : le sourire banania ! Et tout le pays vit au rythme de ces niaiseries qui ne sont pas sans nous rappeler l’époque si reculée et si proche d’Houphouët, l’homme qui faisait et défaisait les destins ; Houphouët, celui par qui le bonheur était possible et en dehors de qui, rien ne pouvait être possible dans notre Côte d’Ivoire d’hier aux pratiques politiques moyenâgeuses (les motions de soutien, les serments d’indéfectibles attachement à la personne du chef, etc., les mystifications verbales de Balla Kéita et Laurent-Dona Fologo, mégaphones des princes) ; cette Côte d’Ivoire ennuyeuse que nous avions à cœur de refonder pour créer un Etat moderne, sous la guidance éclairée d’un certain Gbagbo Laurent alerte à déceler les défaillances du régime d’alors ; Gbagbo, le verbe insolent, le front luisant de sueur batailleuse, la poitrine intrépide et courageuse comme celle d’un guerrier de l’âge du feu ! Comme bon nombre d’entre nous ont dû déchanter depuis ! Et comme nous avons de la peine à retenir en nous, ce rire tragique qui trahit notre profonde déception…


Bref, revenons à notre sujet du jour : le remaniement ministériel. Je me demande ce que le chef de l’Exécutif attend pour le faire. Qu’est-ce qui pourrait même l’empêcher de le faire, si tant est qu’il ait envie de le faire ? En réalité, je ne comprends pas la logique de la longévité de ce gouvernement qui, à en croire M. Fologo le nouveau mégaphone de M. Gbagbo et de la refondation, conspire régulièrement contre ce don de Dieu qu’est Gbagbo pour la Côte d’Ivoire. Questions : y a t-il quelque chose qui oblige sérieusement M. Gbagbo à tolérer l’existence de ce gouvernement qui entraverait son action politique ? Après avoir déchiré la 1721, après s’être offert le luxe insolent de ‘‘chasser Charles Konan Banny’’, après avoir revendiqué (et obtenu de la communauté internationale) le droit à une solution endogène de la crise ivoirienne, qu’est-ce qui empêche vraiment M. Gbagbo et ses refondateurs de mettre en place le gouvernement de leur choix pour conduire leur fameux programme ?


M. Gbagbo et les refondateurs ne vont pas encore nous dire qu’ils n’ont pas pu mettre en pratique leur programme parce qu’ils ont été contrariés par les gouvernements ‘‘bâtards’’ (l’expression est de César Etou) issus de Marcoussis ! Le gouvernement issu de l’accord de Ouaga est, en toute logique politique, celui mis en place volontairement et sans contrainte aucune de nulle part, par le chef de l’Etat ivoirien et son élève et ami, Soro, qui s’opposa à lui, à travers une rébellion meurtrière dont les réelles motivations sont à découvrir et restent à être analysées par l’histoire...


Le dire ou… périr : je suis tout à fait d’accord avec le chef de l’Etat (aucun Ivoirien ne dira que c’est une habitude chez moi) sur la question du remaniement ministériel. Mon avis profond là-dessus est même que M. Gbagbo devra aller jusqu’au bout de sa logique en (re) mettant la Primature entre les mains de M. Affi Nguessan, et en composant un gouvernement exclusivement FPI. Il n’a aucune crainte à se faire sur ce point : la rébellion (ou ce qu’il en reste aujourd’hui) ne peut plus effrayer le moindre peloton des Fanci. Ensuite, elle s’est suffisamment discréditée aux yeux de l’opinion nationale aussi bien qu’extérieure, pour que M. Gbagbo puisse lui porter l’estocade sans que cela n’émeuve personne : l’opinion extérieure et les Ivoiriens lucides ont fini par comprendre que cette rébellion n’a finalement été qu’une de ses fâcheuses duperies politiques que les bégaiements de l’histoire ont l’art d’offrir aux opportunistes qui ont du flair…


Le dire ou… périr : le remaniement ministériel, s’il a vraiment lieu, aura à mon sens, trois grands mérites : clarifier la carte politique en imposant une ligne Maginot entre la classe dirigeante et la classe opposante ; ôter à M. Gbagbo et aux refondateurs, l’alibi de l’échec ou de la responsabilité partagé (e) ; enfin, c’est, je le pense, l’opposition elle-même qui bénéficiera de ce remaniement, car désormais libérés du chantage des ‘‘postes ministériels bonbons’’, les ministres du RHDP se réconcilieront avec leurs partis d’origine, retrouveront leurs militants pour agir activement dans l’opposition, sans plus le poids et la contrainte du devoir de réserve et de la solidarité gouvernementale.


In Le Nouveau réveil du 20 juillet 2008


samedi 10 mai 2008

Les désespérances d'une refondation mauvaise (1)

Le drame de l'école ivoirienne

Denis1, juste cet email pour te dire que je suis absent du pays, depuis le 21 novembre. Je suis en Californie, pour la cérémonie de « Graduation » de mon fils qui vient d'obtenir le Master en Sciences de l'Informatique. Ce fut une grande et belle cérémonie, qui m'a révélé tout le respect que les Américains accordent au Savoir et à l'Education. C'était très émouvant, Denis ! C'était quelque chose d’assimilable aux cérémonies de sortie du « Bois sacré », que nos vieilles sociétés avaient su concevoir, pour célébrer l'Education des enfants et, par-delà, celle du citoyen qui allait, bientôt, se mettre au service de sa société.

Inutile, Denis, de te dire que j'étais fier de mon fils. De le voir (un des rares Noirs de cette Université et, bien sûr, le seul Ivoirien), être congratulé par le président de l'Université, d'être félicité par ses camarades étudiants, et de poser, fièrement, devant le drapeau américain !...

Et je me suis alors demandé : « Quand créerons-nous ce type d'institutions, où les plus brillants de nos écoles et universités, iront poser, fièrement, devant le drapeau national ? » En tout cas, pas sous le régime ''intelligentivore'' des refondateurs, dont le seul souci est de s'enrichir en pillant, de manière éhontée, les richesses de notre pays, pour s'acheter des cylindrées et se construire des châteaux nègres. Comme c'est nul et triste !!!

Combien d'enfants brillants de notre pays, se retrouvent-ils, aujourd'hui, au bord des trottoirs, ne sachant quoi faire de leurs diplômes, ni à quelle porte frapper, pour avoir du travail ? A peine son diplôme obtenu, mon fils a, aujourd'hui, l'embarras du choix, face aux multiples propositions d'embauche qu'on lui fait. Et, tout comme lui, j'ai pensé aux milliers de gosses brillants de notre pays, qui n'ont pas eu ces opportunités qu'il a, lui. Et j'ai mesuré tout le poids des insuffisances de nos dirigeants — les actuels surtout. Laurent Gbagbo et son régime sont coupables du plus grand crime qu'un régime puisse perpétrer contre un peuple : tuer l'intelligence. Assassiner la jeunesse. Tuer la Culture du Travail. Ce noble concept de Travail qui est, pourtant, un des mots clé de la devise de notre beau pays d'hier !...

Quand j’ai évoqué la question de son retour au pays, mon fils m'a dit : « Désolé, papa, mais je ne peux plus retourner en Afrique. La Côte d'Ivoire n'a rien à me proposer ». Cela faisait un bon bout de temps qu’il me tenait de tels propos, dans ces emails. Mais je m’étais dit que c’est une question que j’allais régler, dès que je le retrouverai, là-bas, en Californie. Et je l’ai vu. Nous avons échangé sur la question, et j’ai compris qu’il était déterminé dans son choix. Mais j’ai surtout compris que ce n'est pas à lui, personnellement, que ce pays et ce régime n'ont rien à proposer. C'est à toute cette jeunesse ivoirienne sacrifiée sur l'autel des rêves débiles d'un petit monarque attardé qui s'appelle Gbagbo Laurent.

Ah, ce Gbagbo et son amour des clubs et motions de soutien, ses rires et larges sourires ‘‘bananias’’, ses déclarations tonitruantes et renversantes, ses milices, ses patriotes, ses éditions télé sur sa personne, ce culte ridicule, nègre et anachronique de la personnalité, ce... je ne sais même plus quoi. Comment un homme qui a fait des études jusqu'à un niveau universitaire, écrit des livres, proposé des idées qui nous ont fait rêver, et incarné tant d’espoirs, peut-il être si rétrograde, si ‘‘villageois’’, en matière de gestion d'un peuple, dès que parvenu au pouvoir ? Comme de nombreux étudiants ivoiriens de ma génération, j’étais convaincu que cet homme nous ferait avancer, et qu’il ferait mieux qu’Houphouët et le PDCI, ce régime de « ministres tocards » — c’est lui, Gbagbo, qui l’a dit, au cours des années 1990, sur les antennes de la télévision ivoirienne. Et j’étais d’accord avec lui, tant le PDCI nous paraissait incompétent, nul, en comparaison avec ce que Gbagbo nous promettait de faire, quand il serait parvenu au pouvoir. Il a eu, enfin, ce pouvoir tant convoité ! Et j’ai vu, nous avons, tous, vu, ce qu’il nous a servi et continue de nous servir : un règne médiocre, décevant, comique…

Note:
1/ Denis Kah Zion, Directeur de publication Le Nouveau Réveil

Les désespérances d'une refondation mauvaise (2)

Houphouët : une voie

Denis, j'ai vu et visité la Cal state — l'Université où mon fils a fait ses études. Et j'ai pu évaluer et mesurer tout l'intérêt que le président Houphouët avait accordé à la chose éducationnelle, dans notre pays : oui, je te le dis, les Grandes Ecoles de Yamoussoukro n'ont rien à envier, du point de vue de l'infrastructure (conception architecturale, étendue de l'établissement, viabilité de l'espace — parkings, salles de jeux, terrains de sports, salles d'études, amphithéâtres, etc.), à ce que j'ai vu dans cette prestigieuse université de la Californie, ainsi que d'autres de cet Etat prospère des USA. Et mon respect pour l'œuvre accomplie par Houphouët et le PDCI, s'est décuplé.

Au cours d’une causerie, j'ai dit à des professeurs de cette université (dans un anglais obscur — je ne suis pas un disciple de Shakespeare), qui me vantaient la qualité infrastructurelle de leur établissement, qu'en Côte d'Ivoire, on en avait de pareilles ; et qu'elles avaient été construites par Félix Houphouët-Boigny, notre premier président. J’ai vu qu’ils étaient sceptiques ; et puis, apparemment, ils ne savaient pas qui était ce Houphouët-Boigny — ce qui avait donc renforcé leur scepticisme ; et je les comprends. Mais mon fils (qui a fait l’Institut Polytechnique de Yamoussoukro) est venu à mon secours, en confirmant (dans un anglais honnête) mes propos. Et là, ils m'ont paru moins sceptiques...

Plus que jamais donc, je reste convaincu qu’Houphouët, par son refus du misérabilisme et de l'ignorance, fut une réponse aux problèmes du Tiers-monde, précisément de l'Afrique. Oui, refuser la tourmente des discours et slogans ravageurs, former patiemment et sérieusement ses cadres, transformer qualitativement nos cerveaux pour nous amener à rivaliser avec ceux qui nous avaient vaincus, hier, par leur savoir, et parvenir à leur ‘‘voler’’ le secret de leur réussite afin de relever le défi du développement : voilà, en gros, l’exposé de la politique d’Houphouët et de son parti. C’était une grande vision, et une politique saine de construction d’un pays et d’une nation qui aspirent à l’élévation ! Et c’est ce que Félix Houphouët-Boigny, à l’instar de la majestueuse Grande Royale de Cheick Hamidou Kane (in L’aventure ambigüe), avait compris et entrepris de faire, pour nous. Pour l’Afrique.

Oui, aujourd’hui, plus qu’hier, il faut aller à leur école, cette Ecole de l’efficacité et du rendement, pour « apprendre à lier le bois au bois » afin de pouvoir « construire des édifices de bois », et « vaincre sans avoir raison — C. H. Kane ». Là se trouve notre salut. Les Asiatiques l’ont compris. Aujourd’hui, sur le terrain de l’inventivité technologique qui était leur fief, les Allemands, les Français et les Américains, courtisent l’Inde, la Chine et le Japon. Pendant ce temps, l’Afrique et ses Kagamé, ses Gbagbo, ses Biya, ses Wade…, prospèrent dans la culture du crime, du délire mystique, des louanges moyenâgeuses, du tam-tam, du népotisme infect, de la transe face à l’argent facilement acquis.

Quand je pense au sabotage de l'Ecole auquel se livrent les refondateurs (des enseignants), dans mon pays, je ne peux qu'être de plus en plus convaincu de la justesse de mon positionnement politique et idéologique actuel : le Néo-houphouétisme ; et, surtout, être révolté contre ce régime, qu'il nous faut continuer de combattre. Avec acharnement. Le combattre, Denis. Le combattre, avec tous les risques que cela suppose, car ils ont détruit le temple de l’Intelligence. Ce que le paysan Houphouët avait compris, il y a de cela plus d’un demi-siècle, les universitaires de la refondation n’ont pas réussi à comprendre, malgré l’épaisseur de leurs parchemins. Ils sont mauvais. Et pour cela, rien que pour cela, je ne cesserai de les combattre, afin de permettre à la Côte d’Ivoire de rêver à sa renaissance et de la réaliser, sous la gouvernance de cerveaux sains, d’âmes salubres et de mains expertes...

Cela fait plus d’une décennie que le célèbre Lycée scientifique de Yamoussoukro d’où sont sortis des cerveaux scientifiques comme Fofana Mouramane, est tombé en désuétude. J’avais espéré que notre régime d’enseignants avec, à sa tête, M. Gbagbo, réhabiliterait cet établissement, afin de donner un signal fort et lisible quant à notre intention de promouvoir l’esprit scientifique. Que neni ! En lieu et place d’une réhabilitation du Lycée scientifique, M. Gbagbo est allé construire un… vilain palais chinois de députés, à Yamoussoukro. Et il s’attèle à la construction d’un Sénat. C’est tout dire de l’intérêt que ce régime porte à l’avenir de la jeunesse et au progrès de la Côte d’Ivoire ! Comment peut-on croire et vouloir enseigner aux jeunes gens que, la seule chose qui importe dans une vie, (surtout si on est un fils de pauvre) c’est de faire de la politique, afin de devenir, un jour président ?

Cela fait plus d’une décennie que le diplôme du Bac est réduit à un misérable bout de papier (une attestation) que l’on tend à nos lycéens. On en connait la raison : il n’y a pas d’argent pour imprimer ces diplômes ! Il n’y a pas d’argent ; mais les parcs autos de nos ministres de l’Education, sont fournis plus que de raison, et ces ministres sont des gens prospères ! Les enseignants se cachent, et opèrent nuitamment, comme des larrons, pour afficher, sur des tableaux sales et suspects, les résultats des examens et concours ! Tout, dans nos pays, est régi par la symbolique de la nuit, et soumis à la sémantique de l’obscur et du bizarre. Pourquoi ne pas récompenser, au vu et au su de tout le monde, les meilleurs d’entre nous ? Pourquoi ne pas célébrer, officiellement, sans calcul politicien, les plus brillants d’entre nos élèves et étudiants ? Pourquoi ne pas dresser des stèles aux intelligences révélées et affirmées ? Le président de la République n’a pas à offrir un déjeuner télévisé aux élèves méritants. C’est le rôle des institutions scolaires et universitaires…

Les désespérances d'une refondation mauvaise (3)

Rêver le progrès

Fofana Mouramane, dans son livre « Rêver le progrès » avait affirmé, après avoir visité la Silicone Valley, que nous étions capables d’en réaliser, en Côte d’Ivoire. Il était jeune, et il croyait encore au rêve d’une Afrique et d’une Côte ambitieuses. Il a déchanté depuis !

Dans la Côte d’Ivoire de Gbagbo, seule la politique paye. Les dribles, feintes machiavéliques et autres tacles stupéfiants du nouveau monarque à ses adversaires politiques, sont considérés comme une marques de génie ! Un talent inouï de politicien ! Et même le respectable Laurent-Dona Fologo, ne se gène pas pour proclamer, superbe de ridicule : « Gbagbo est un don de Dieu ! ». Ce n’est plus de la mystification politique ; c’est un délit conceptuel. Un affreux rapt éthique !...

« Désolé, papa, mais je ne peux plus retourner en Afrique. La Côte d'Ivoire n'a rien à me proposer ». Je n'ai rien pu répondre à mon fils. Quelle réponse, d’ailleurs, lui donner, Denis ? Tragédie d'un père ! Désolation d’un enseignant vexé…

« La Côte d'Ivoire n'a rien à me proposer ! » Cette phrase continue de me tourmenter, Denis. Hier, sous Houphouët, tous ceux de ma génération, qui faisaient des études à l'étranger, étaient pressés de rentrer au pays en quittant, qui, la France, qui, l'Allemagne, les USA, le Japon, la Belgique, etc., pour venir travailler en Côte d'Ivoire, et se mettre au service du pays. Aujourd'hui, nos enfants nous disent : « (...) je ne veux plus retourner en Côte d'Ivoire. Mon pays n'a rien à me proposer »...

Et ils sont, ainsi, des milliers de jeunes, qui rêvent de se retrouver de l'autre côté de la mer. Les plus désespérés d'entre eux s'embarquent sur les pirogues de la mort, pour tenter de séduire la chance ou... la mort. En Europe. Parce que l'Afrique et ses roitelets du genre Gbagbo, Wade, Paul Biya..., parce que la Côte d'Ivoire de Gbagbo et ses chefs guerriers, ses Com zones, ses Com théâtres, ses dozos, ses rebelles repentis, ses malfrats politiques avides de sang juvéniles pour asseoir des pouvoirs démoniaques et incompétents, n'ont rien à offrir à leurs jeunesses. Rien d’autre que l’amertume pour les idéalistes déçus, la menace d’un infarctus, des conteneurs d’alcool pour ‘‘idiotiser’’ les jeunes, la bible pour les paradis artificiels, et l’art de la reptation indigne, pour les caméléons politiques, uniquement soucieux de… faire bouillir leurs marmites grosses comme des chaudrons du diable !

En Côte d'Ivoire, précisément, rien d’autres que de l'argent facile, en récompense au militantisme politique : villas, gardes de corps, comptes en banques, véhicules, chauffeurs, etc., sont immédiatement assurés à de petits vauriens, incultes, tricheurs et assassins de bas étages ; tous, camouflés sous les manteaux de ‘‘Patriotes’’, de ‘’Rebelles’’, ou de ‘‘défenseurs de la légalité républicaine’’ ! Des mots, rien que des mots vilains, vides et suspects, pour maquiller la médiocrité et la soif de grandeurs malsaines qui ruinent leurs âmes...

J'ai rencontré, à San Francisco, une communauté d'Ivoiriens. Elle m'y avait invité pour un débat sur « La crise, la société ivoirienne, et le Néo-houphouétisme ». Elle a profité de cette occasion pour vous transmettre, à toi et tes collaborateurs de Le Nouveau Réveil, ses encouragements, pour le noble combat que vous menez. Ce débat s'est tenu sur l'initiative d'Adoubou Traoré, un condisciple du Lycée moderne de Korhogo. C'est un garçon brillant. Il fut le major de notre promotion...

Tous ceux qui étaient de cette rencontre, étaient des gens bien placés à San Francisco. Ils travaillent, tous, dans de grosses structures. Et ils se suffisent. Ce sont, tous, des cadres ivoiriens, brillants et sollicités aux USA, par de respectables boîtes américaines. Adoubou Traoré (alias Tom — pour les amis), est Directeur exécutif d'un Centre qui s'occupe des Immigrés et des Réfugiés politiques de tous pays. Il rencontre des personnalités importantes de la ville de San Francisco. Il m'a fait la proposition (une plaisanterie sans doute, entre amis de longue date) de m'inscrire sur la liste de ‘‘ses réfugiés’’ ! Je lui ai dit : « Merci, pour ta gentillesse. Mais je ne peux pas quitter la Côte d'Ivoire et abandonner, comme cela, le combat que nous y menons contre l'incurie du régime de Gbagbo »...

Les désespérances d'une refondation mauvaise (4)

L’épineuse question de la diaspora

Des cadres brillants, comme je te le dis, Denis. Mais, aucune intention de retourner au pays ne les habite. Et je t'avoue que j'ai partagé et même, encouragé leurs positions sur cette question : qu'est-ce que la Côte d'Ivoire d'aujourd'hui, la Côte d’Ivoire de Gbagbo et des prédateurs de nos richesses, cette Côte d'Ivoire des crimes, du culte du sang, de la médiocrité, de la saleté, de l'insécurité, de l'indiscipline, cette Côte d’Ivoire des charlatans déguisées en pasteurs, cette Côte d’Ivoire du vacarme et de la fainéantise, ce pays du vagabondage politique et de la déchéance éthique, a à offrir à des cadres compétents, aux formations achevées, instruits et éduqués à une haute culture du travail, de l'effort, du rendement, de la performance et de la compétitivité ? Encore rien. Rien d'autres que d'ennuyeux reportages ‘‘présidentiels’’ télévisés, des articles insipides de journaux animés par des griots au langage vacillant et malhabile. Rien d’autres que des grognements tympanisants appelés ‘‘zouglou’’, ‘‘coupé décalé’’, ‘‘danse de la grippe aviaire’’, ‘‘danse du cochon’’, ‘‘danse du cafard’’, ‘‘danse de...’’ N'importe quoi ! Inouï ! Bref : rien qu'une « Société absurde », comme en dit l'essayiste et ami, Ernest Kakou Tigori...

Au contraire de la diaspora asiatique, cette diaspora ivoirienne ne constitue pas, cependant, une force, à San Francisco. Elle ne pèse d’aucun poids sur les décisions des gouvernants, parce qu’elle est faible, économiquement. Ses membres sont, individuellement, des gens hors des besoins primaires, certes ; mais, il manque à toute l’organisation, ce qui fait la force de la diaspora asiatique : la solidarité agissante, autour d’un idéal : être forts, pour vaincre. J’ai visité Chinatown. Impressionnant ! A San Francisco, comme à Los Angeles, et à Paris, le constat reste le même. Triste, désolant : en moins de temps de présence en Occident que les Africains, les Asiatiques se sont bâtis de véritables puissances financières, un lobbying, une représentativité politique et symbolique. Aujourd’hui, à Paris, ce sont les Chinois qui détiennent le monopole de la vente des produits africains aux consommateurs ; ce sont eux qui maîtrisent le circuit d’écoulement de ces produits. Des produits africains. Où sont les Africains ? Où sont les Ivoiriens ? Quand aurons-nous nos ‘‘ African town’’ ou nos ‘‘Ivoire town’’, en Europe ?...

Denis, ces cadres ne retourneront pas au pays ; du moins, pas dans les conditions actuelles. Du coup, se trouve posée, la tragique question de l’utilisation du matériel humain — le capital le plus fondamental dans le développement d’un peuple. Hier, sous le règne du patriarche que ma génération (elle est aujourd’hui au pouvoir) avait contesté, nous avions, tout de même, réussi, sinon à construire un grand pays, du moins, poser les bases de notre développement grâce à une programmation intelligente et visionnaire du capital humain. Oui, le « Miracle ivoirien » n’a été possible que parce que, de tous les pays de la sous région, la Côte d’Ivoire était le seul qui avait gardé sur place ses cadres, ses technocrates. Le matériel humain était bon, compétent et performant. Ceux que les gouvernants avaient envoyés au-delà les mers pour chercher le savoir, sont rentrés au pays pour y investir leurs savoirs.

Cela fut ainsi, parce que l’homme qui nous dirigeait, avait compris que le premier investissement à faire, pour développer un pays, c’est l’investissement cérébral, pour constituer un bon CAPITAL INTELLIGENCE. Le café et le cacao n’étaient, en fait, que des moyens ponctuels, pour régler des problèmes immédiats. On comprend donc pourquoi Félix Houphouët-Boigny avait tant investi dans la création de Centres de recherches scientifiques, dans le domaine de l’Agriculture. Les succès de notre pays dans la recherche sur le palmier à huile sont là, pour confirmer notre thèse. Et même si « Le succès de ce pays repose (ait) sur l’agriculture » — c’était un spot publicitaire célèbre de l’époque —, Houphouët avait compris que cette agriculture ne pouvait être performante que soutenue par la recherche scientifique. L’importation (malheureusement massive) de la main d’œuvre étrangère, a hypothéqué ou retardé les chances de mécanisation de notre agriculture. Mais l’intention et les bases de cette mécanisation étaient, au moins, là…

Aujourd’hui, il ne reste rien de tout cela que le bradage de notre richesse cacaoyère et caféière à des prédateurs du milieu agricole, et à des razzieurs appelés abusivement « rebelles », qui vendent ces richesses à des pays receleurs, qui n’en produisent pas. Et ce sont ceux-là, aujourd’hui, qui dirigent la Côte d’Ivoire, se baladent tranquillement à Abidjan, dans des cortèges de cylindrées et de blindés, acquis au prix de la sueur d’honnêtes travailleurs ! Sirènes d’enfer, cortèges noirs, vestes et cravates ! Je vous salue, roitelets nègres ! Je salue vos crimes nocturnes, vos médiocrités, vos ignorances bien rémunérées !…

Les désespérances d'une refondation mauvaise (5)

Quelle solution ?

Que proposer à notre diaspora ? Notre culture de l’improductivité ? Notre amour anormal du désordre, du vacarme, de l’insalubrité ? Notre passion des transes mystiques ? Elle (cette diaspora) nous dit, ferme : « Non, je refuse ! » Qu’a-t-elle, en retour, à nous proposer ? Une culture du travail et du rendement. Un refus ferme de la facilité et des nègreries humiliantes qui caractérisent tant nos pays. Parce que la vision du monde qu’ils ont acquise et conservée dans les pays développés, les automatismes et bons réflexes sociaux qu’ils ont intériorisés, ne les autorisent plus à s’accommoder de nos absurdités, et à les accepter.

Aucun pays ne peut se permettre d’ignorer sa diaspora. Ce ne sont pas les Juifs de Tel Avive, qui construisent Israël ; ce sont les juifs de la diaspora. Parce qu’Israël et ses dirigeants leur donnent des raisons de procéder ainsi. Les élites africaines qui retournent aux sources, finissent, presque toutes, par se perdre dans de viles compromissions ou par sombrer dans le désespoir, face aux indigences de roitelets loufoques (nos pseudos chefs d’Etat aux budgets de souveraineté faramineux — pendant ce temps, leurs peuples sont pauvres) aux discours médiocres, stupéfiants d’insuffisance, et sans aucune intention futuriste…

L’Afrique est pauvre, nous chante-on. Et la Côte d’Ivoire, comme de nombreux pays africains, ne se prive pas de continuer sa politique rachitique de mendicité auprès de l’Europe, sans même songer, un seul instant, à chercher à poser, lucidement et intelligemment, la problématique de la Production et du Rendement. Et des fonctionnaires de ce pays sont riches ! Ils ont acquis, subitement, fortune et respectabilité, au bout de la pratique du dol impuni…

Récemment, à l’occasion de l’arrivée du corps de mon ami Bernard Ahua (décédé en France), j’ai, à l’instar de tous ceux qui attendaient, comme moi, à l’aéroport, observé une scène révoltante : le directeur du Port autonome d’Abidjan venait d’arriver d’un voyage à l’étranger. Ses subalternes sont allés le chercher. Le cortège qui l’accompagnait comprenait douze cylindrées (j’ai bien compté) et d’autres véhicules remplis de gardes de corps en armes. Cet homme n’est pas un industriel, ni une personnalité de l’Etat. Il ne produit ni richesse matérielle, ni richesse cérébrale. En tout cas, il n’est pas une référence en matière d’intelligence théorique, en Côte d’Ivoire. De fortes présomptions ont pesé sur lui dans l’affaire des déchets toxiques. Et, comble de l’indécence, il continue de vivre comme un pacha, au détriment de la masse productive ! Et c’est cela, l’Afrique. C’est cela, la Côte d’Ivoire de Gbagbo...

L’Europe, qui a pourtant suffisamment produit, est toujours à la recherche de cerveaux, pour enrichir, davantage, son « capital intelligence ». Nicolas Sarkozy peut ainsi décréter « L’Immigration choisie ». Et les Africains hurlent à l’injustice. D’aucuns parlent même de racisme. Que non ! L’immigration choisie consiste, en réalité, à appâter les Intelligences productives des autres peuples, au bénéfice de la France. Et M. Sarkozy a raison. Et tant pis, si Wade n’a pu rien comprendre à cette décision sensée ! L’Afrique et la Côte d’Ivoire de Gbagbo, ne tirent aucune leçon de cette attitude de l’Europe.

Plus que jamais, nos pays ont besoin de leurs cerveaux. Mais ceux-ci se trouvent en Europe. Et cela, quels que soient leurs domaines de compétences : si la Côte d’Ivoire et l’Afrique ont révélé Laurent Pokou, c’est la France qui a permis à ce génie rare du football, de vivre un tant soit peu de son talent. On peut payer Henri Michel à plus de 30 millions de F par mois, quand, pour le même travail, on ne donnera jamais le dixième de ce salaire à Yéo Martial, ni à Pokou ou à Kallet. Didier Drogba n’est pas un produit de l’Afrique, moins encore de la Côte d’Ivoire ; c’est l’Europe qui l’a fait. Il serait resté en Côte d’Ivoire, qu’il croupirait aujourd’hui, quelque part, dans une ‘‘deux pièces’’ désolées, à Yopougon, avec de vilains cors aux pieds, et des boutons indignes et insolents sur les fesses !...

Hier, les Blancs, avec la complicité de monarques nègres en déficit d’humanisme, avaient contraint nos bras valides à traverser les mers, pour produire les richesses de l’Occident. Le sang et la force musculaire des Noirs ont constitué, indiscutablement, les fondations énergétiques de la richesse capitaliste. Aujourd’hui, c’est avec la même complicité de nos élites dirigeantes en déficit de vision et de projection historique, que notre capital humain traverse les mers, pour se rendre (contre le gré des Blancs, cette fois-ci) en Europe, afin de trouver des moyens d’épanouissement, et la possibilité de vivre le rêve élémentaire d’exister. Par-delà le temps, la tragique problématique reste la même : l’Afrique cède son capital humain à l’Occident. Qui construira donc ce continent ? Adolescents, trentenaires, quadragénaires et mêmes cinquantenaires compétents et brillants, tous, décident d’aller et de rester en Occident. Parce que l’Afrique des présidents rigolos et improductifs, l’Afrique des dirigeants affameurs et assassins de leurs peuples, n’a rien à leur offrir, malgré leurs expertises, leurs génies.

Oui, rentrer au pays, serait, pour nos élites de la diaspora actuelle, un suicide. Et la peur du chômage, la peur de vivre sans idéal, sans perspective, les habite. Et ils ont raison…

Je viens d'apprendre le cas tragique d'un des nôtres de la diaspora (je tais volontairement son nom) qui a ‘‘pété les plombs’’, récemment, après un séjour de... trois semaines, en Côte d'Ivoire : le vacarme, la saleté, la télé de Gbagbo, la politique, la fainéantise, l'anarchie, les rues barrées par les flics, l'inertie du peuple et des intellectuels, l’improductivité, etc., tout cela a fini par le rendre fou. Et nous finirons, sans doute, pour la plupart d'entre nous, fous, dans ce pays insolite, si nous n'y prenons garde, Denis. Ce pays est, désormais, un immense asile d'aliénés qui s'ignorent. Un pays de « gens anormalement normaux » — pour employer ces mots du célèbre psychanalyste C.G. Jung. Une société réellement absurde. Et je me demande bien, comment nous faisons pour y sur-vivre !!!

Non, il ne s’agit même plus d’une fuite des cerveaux, Denis. Il s’agit d’une échappatoire, d’une tentative tragique de fuir l’enfer que constituent nos pays que nous avons livrés aux mains de dirigeants nocifs et désespérants. Et, pour ce qui est de la Côte d’Ivoire, la Refondation me paraît l’expression achevée de cette faillite des gouvernances nègres…

Comment tout cela finira-t-il, un jour ? J’ai peur de le dire. Un seul mot est sorti de ma plume : ce sera EFFROYABLE, le jour où nos populations, nos jeunesses surtout, fatiguées de ces règnes brouillons et décevants, las des mensonges et de tous ces actes de prévarication impunis, envahiront les rues, occuperont les pavés de nos villes et, la colère sous la langue, incendieront nos cités de clameurs rouges, sauvages et désespérées !

Il nous faut éviter cette solution désespérée, Denis. Il nous la faut conjurer. Et c’est pourquoi, nous devons continuer le combat de Venance Konan, le combat de Sylvestre Konin (qui s’est, enfin, réveillé) ; le combat de Jeannot Ahoussou Kouadio, le combat de notre cadette Christiane Djahuié, le combat du jeune Assalé, du député Alomo, le combat de Mme Faust Didi et de Guy-Charles Wayoro ; enfin, le combat de ces milliers d’Ivoiriens anonymes

(ménagères, enseignants honnêtes, médecins, etc.), que ton journal incarne. Surtout, ne baissez pas les bras, malgré les menaces des criminels. Ne cédez pas à l’intimidation. Nous gagnerons ce combat. Parce qu’il est juste et bon.

Porte-toi bien, cher ami. Et recevez tous mes encouragements pour le travail que vous faites, chaque jour, pour instruire les Ivoiriens, en démasquant les tares de ce régime qu’il nous faut, absolument, chasser du pouvoir. Pour notre survie !

Bientôt parmi vous, pour continuer la lutte...

dimanche 20 avril 2008

Césaire, la fôhoun!

C’est le matin d’hier que le poète est parti. Non pas ce « petit matin » qui ouvre, rythme et cadence « Le cahier d’un retour au pays natal » — le point culminant de la poésie universelle, mais le matin banal du temps des hommes. Et voici qu’on le conte déjà au passé, lui le maître des grandes orgues ; lui qui, plus que tous les fils élus de la Parole, avait tant su nous dire le nommo et le muntu de sa langue de feu – le secret de son gosier de créateur ! Moins de cinq minutes après la déclaration officielle de son décès par le médecin, le premier texte était déjà sur le Net. C’est que la disparition (prévisible) de l’homme, était un événement mondial ; en tant que tel, il avait mis en alerte toutes les rédactions du monde. Exactement comme il y a quelques années, celle du Pape…

Il n’était plus du commun des mortels ; son nom et son œuvre étaient aux envergures du monumental ; et cela était juste car Césaire était le plus authentique d’entre les poètes du vingtième siècle, celui qui avait le plus compris que la poésie, la vraie, naît de la démesure du discours. Il disait d’ailleurs que « La connaissance poétique est celle où l’homme éclabousse l’objet de toutes ces richesse mobilisées ».

Pour le monde noir, pour les écrivains du monde entier, la disparition de cet homme sera (elle l’est même déjà) une date historique, un majestueux point d’orgue à observer, en hommage à celui-là qui, de toutes les consciences politiques et intellectuelles de sa génération et de son temps, était celui qui avait le plus mobilisé de l’énergie pour la défense des opprimés, et exprimé sa passion pour sa race — la race noire…

Aimé Césaire est mort à 94 ans ! Près d’un siècle de vie consacre donc son parcours terrestre. C’est un privilège des Dieux. Et les négro africains ont raison de ne pas pleurer les patriarches : à cet âge-là, on ne meurt plus, à vrai dire ; on se repose. Car comme disent les chrétiens : « L’œuvre est terminée /Du grand repos, l’heure a enfin sonné »…

Merci, grand maître, de nous avoir appris, passant dessus la Martinique et toutes ces « Antilles qui ont faim, ces Antilles dynamitées d’alcool et crevées de petites véroles » (‘‘Le Cahier…’)’, le chemin initiatique qui mène au verbe fécondateur, au verbe beau, fort et juste. Et nous continuerons d’interroger les signes qui parsèment cet énigmatique « petit matin », et nous redirons le rêve de Christophe face au défi de « l’industrie de la pierre » et à cette incompréhensible indolence de la race Noire alors que « l’ocelot est aux aguets » ; et nous continuerons de nous identifier au laminaire, jusqu’à ce qu’il y ait de nouvelles saisons au Congo. Car, « il n’est pas vrai que l’œuvre de l’homme est terminée »… « et nous savons qu’il y a place pour tous… » sous le vaste préau de ce monde que nous pouvons, nous aussi, discipliner à la force de nos volontés déchaînées.

Aimé Césaire est décédé. Vive le poète ! Et que se prolonge la fête du mot magique qu’il avait si bien ouverte !

**

Note :
1 / La fôhoun (en baoulé). Dors en paix !

lundi 14 avril 2008

L'agression policière contre Laurent Pokou (1)

La grandeur (encore) humiliée de la Côte d’Ivoire

« Côte d’Ivoire, chapitre sécurité. L’ex-footballeur international Laurent Pokou a été passé à tabac à un barrage de police, la nuit d’hier… ». La mauvaise nouvelle a fait, évidement et très rapidement, le tour de Paris. Emoi au sein de la communauté des Ivoiriens. Coups de fil sur coups de fil. Et puis, et puis, les journaux. Enfin, ce dimanche, l’image de Laurent Pokou à la télévison ivoirienne, le visage tuméfié, méconnaissable. J’avoue avoir versé des larmes pour Pokou ! La première fois que j’avais eu à pleurer pour lui, c’était en 1974, je crois, à l’issue du match poignant et titanesque que l’Asec livra et perdit contre le Hafia football Club de Guinée. Laurent fut merveilleux, ce jour-là ! Trois buts en quinze minutes ! Il livra un dernier match à Abidjan, au cours des années 1980, après son retour de Rennes : un match amical entre les anciens de l’Asec et ceux de l’Africa Sports. Laurent signa, vers la fin du match, un dernier but (il en avait marqué deux ce jour-là) d’une rare beauté, après qu’il eut hérité d’une balle de Valentin Bouazo. Tout le stade s’était levé pour saluer ce but ; et il me fit pleurer (encore), mais de joie, cette fois-ci. Et depuis la fin de l’épopée de Laurent Pokou, je n’ai plus mis pied au stade, parce qu’aucun africain, moins encore un ivoirien, ne peut jouer au football comme lui. Aucun ! Pour ceux de ma génération, il est un moment important de l’histoire de la grandeur et de la respectabilité de la Côte d’Ivoire…

Hier dimanche, j’ai vu son visage méconnaissable à la télévision ; et il essuyait ce visage gentil et bonhomme avec une pochette blanche… comme la pureté de son coeur. Et je devinais, d’ici, les larmes de tristesse qui devaient inonder son cœur lourd d’amertume et de déception. Quoi : avoir fait tant et tant de choses pour ce pays, avoir fait vibrer tant et tant de personnes dans le monde entier, avoir participé à une part importante de la grandeur de ce pays, et se retrouver comme cela, un jour, humilié par un petit policier, un chenapan ! Et j’ai eu aussi pitié pour ce pays, en même temps que j’éprouvais et évaluais, une fois de plus, l’ampleur de l’agonie de ce jardin que fut la Côte d’Ivoire, notre beau pays d’hier. Notre ancienne gloire du football ivoirien et africain, celui que des foules immenses allaient voir et retournaient chez elles, ivres de joie d’avoir vu du spectacle, contente et heureuses d’avoir vu un véritable footballeur jouer au ballon, celui qui a hanté maints stades Afrique et du monde, fait la une de milliers de journaux d’ici et d’ailleurs, celui que l’on appelait « L’homme d’Asmara », « l’Empereur baoulé », « le Duc de Bretagne », etc., c’est celui-là qu’un vulgaire policier (ils ne le sont pas tous), sous ce régime, a frappé, humilié, puis traîné dans les locaux d’un commissariat !!!

On m’a même appelé de Rennes pour avoir confirmation de cette information qui a vraiment bouleversé un nombre incroyable de personnes ! Mais oui, c’est vrai : Laurent Pokou a été frappé par (un ?) des policiers... pour un contrôle routier ! Et cela se passe en Côte d’Ivoire ! Le pays de Pokou. Le plus séduisant, le plus performant des footballeurs africains des années 1970-1980. Ce rare génie du foot (comme on n’en trouve plus) que même encore aujourd’hui, la Bretagne idolâtre1. Oui, c’est celui-là qu’en Côte d’Ivoire, un vulgaire policier vient de frapper, qu’un policier peut frapper…

J’ai écouté Laurent faire le récit du martyre qu’il a subi, et j’ai eu mal. Pas seulement pour Laurent — l’idole du football des gens de ma génération —, mais mal pour ce pays, la Côte d’Ivoire. Le geste de ce policier est en effet empreint d’un symbolisme terrifiant que j’ai personnellement décodé depuis belle lurette ; et je n’ai eu de cesse d’attirer l’attention de mes concitoyens sur ce danger : le mal que représente ce pouvoir mauvais qui a secrété cette police mauvaise, assassine, antirépublicaine : là se trouve la vraie problématique de la Sécurité en Côte d’Ivoire. Le comportement d’une Police nationale envers le citoyen est non seulement indicateur de l’indice de sécurité qui règne dans un pays, mais aussi, révélateur de la nature de la gouvernance qui régit ce pays : une police agressive est toujours le reflet d’un pouvoir agressif et liberticide. Une police voyou est l’application bijective du régime qui le secrète. Il faut donc aller au-delà de ce qui est arrivé à Laurent Pokou pour mieux appréhender l’étendue de la tragédie qui nous menace désormais, dans ce pays.

Le racket policier — car ce qui est arrivé à Laurent Pokou est une des conséquences du racket — n’est pas une invention de la refondation. Il existait sous le régime de M. Bédié ; et maints articles signés de Venance Konan nous avaient alerté de ce danger : des chauffeurs de gbaka ou de taxi tués, des braquages accomplis par des policiers, des tirs sans sommation non justifiés, etc. Il ne peut donc me venir à l’esprit de dire que c’est le pouvoir de Gbagbo qui a crée le racket ; mais c’est indiscutablement le régime de Ggagbo qui le tolère, le justifie, l’encourage même en le perpétuant : les policiers eux-mêmes n’hésitent pas à dire que leurs supérieurs hiérarchiques perçoivent leurs parts du butin du racket ; et le racket est devenu une pratique légale en Côte d’Ivoire, car entendons-nous bien : tout ce qui est admis par l’Exécutif dans un pays de régime présidentialiste, devient légal.

Post-scriptum : Tiburce Koffi est coauteur, avec un Breton du nom de Jean-Yves Augel, d’une biographie en voie d’écriture, sur « Laurent Pokou, le buteur magique », (titre provisoire).

Note:
1/ Un journal breton, publié l’année dernière, lui consacrait encore au moins 4 pages, pour conter aux jeunes bretons, l’épopée de ce footballeur d’un talent hors du commun.

L'agression policière contre Laurent Pokou (2)

La complicité du pouvoir

Qu’est-ce qui autorise des policiers à se servir de pneus (d’ailleurs usagés), de briques, de bois, et de seaux d’eau pour barrer une route, faire descendre de véhicule des conducteurs et des passagers, sous prétexte de contrôles policiers ? Qu’est-ce qui empêche le chef de l’Etat de faire une déclaration officielle, intimant l’ORDRE aux forces de l’ordre, de ne plus poser de telles barrières (sales, désordonnées, antirépublicaines2) sur les routes, sauf en cas d’alerte ? Et sous peine de sanctions (avertissements, blâmes, dégradation et radiation) ? Qu’est-ce qui l’empêche de le faire, sinon la méconnaissance de ses devoirs de chef de l’Etat ? Si M. Gbagbo et ses refondateurs savaient ce qu’était l’Etat, ils sauraient que chaque bavure policière, chaque inconfort que nous crée notre police (dont aucun citoyen ivoirien n’est content), chaque personne tuée par notre police agressive, assassine et friponne, porte les marques de leurs responsabilités de dirigeants et plus encore, celle du chef de l’Etat.

Mais il y a longtemps que M. Gbagbo et ses refondateurs nous ont prouvé que diriger un Etat est une chose trop difficile pour eux. Aidons-les à ne plus faire cette corvée, en accélérant leurs départs du Palais présidentiel et des autres locaux étatiques qu’ils occupent indûment. Relisez « Paroles d’honneur » de Simone Gbagbo. Vous y verrez un hommage qu’elle rend aux Forces de l’ordre de notre pays ! Les refondateurs sont les seuls en Côte d’Ivoire à être satisfaits de nos policiers…

Non, ce qui est arrivé à Laurent Pokou est évidemment grave. De la gravité de ces choses qui vous emmènent à méditer sur le sort de ceux qui devaient être considérés comme des modèles dans ce pays, mais qui sont conspués, humiliés, menacés d’être ‘‘braisés’’ — un de leurs vilains mots. Pokou a même affirmé qu’un des policiers a dit qu’il allait « en finir avec » lui. Et il aurait pu le faire. Tranquillement. Et il serait encore en liberté. Tranquillement. Jean Hélène a été tué. Guy-André Kieffer l’a été. Le policier qui a tué Jean Hélène est en liberté, et j’ai ouï dire qu’il avait eu de la promotion !!!

Il est vrai que l’acte de ce policier n’a pas été prémédité ; mais cet agent de l’Etat ne peut pas affirmer qu’il ne sait pas qui est Laurent Pokou. Ce serait un affreux mensonge : on vient à peine de finir la CAN. Et, comme à toutes CAN, le nom et la photo de Laurent Pokou sont revenus dans les commentaires des journalistes (radio, télés, presse écrite) ; ses exploits ont été cités, des interviews lui ont été faites. Certes, la télé ivoirienne n’a pas jugé utile de nous montrer des images des buts de ce footballeur de légende (les Français en possèdent de lui – mais pas la télévision ivoirienne ; ce serait trop en demander à la RTI de Gbagbo et Soro) ; mais les journaux écrits ont abondamment parlé de Pokou. Or, selon ce que j’ai entendu, ils étaient quatre policiers sur les lieux du crime — Oui, c’est un crime. Et il est inimaginable qu’aucun d’entre eux n’ait pu mesurer la portée de l’acte qu’ils étaient en train de commettre sur cette figure de légende. Ces policiers savaient qui est ce monsieur Laurent Pokou. Mais cette référence ne leur a pas suffi pour s’empêcher de faire subir à cette figure respectable en Côte d’Ivoire, le sort que nous savons. Ces policiers n’auraient pas fait cela à Serge Kassy, ni à DJ Kaloudji, ni à… Wattao ou un des héros loufoques de ladite « galaxie patriotique » — les idoles des cerveaux de demeurés d’une société en pleine perte de valeurs référentielles !

Post-scriptum : Tiburce Koffi est coauteur, avec un Breton du nom de Jean-Yves Augel, d’une biographie en voie d’écriture, sur « Laurent Pokou, le buteur magique », (titre provisoire).

Note:
2/ Ces pneus usagés, ces récipients, ces morceaux de bois, ne peuvent être des moyens administratifs et légaux de travail.

L'agression policière contre Laurent Pokou (3)

Le sens d’un pardon

Ce qui est arrivé à Laurent Pokou doit permettre aux Ivoiriens de savoir qu’aucun d’entre nous n’est à l’abri de la folie de toutes ces gens en armes (policiers, gendarmes, militaires, milices, etc.) qui prospèrent sous ce régime incapable d’assurer la sécurité de l’honorable citoyen, à plus forte raison, celle du citoyen moyen et anonyme. Le cas de Laurent Pokou a été su ; et il a ému toute la Côte d’Ivoire ainsi que des milliers de personnes à travers le monde, car l’homme fut une célébrité et demeure une personnalité attachante — Pokou est un monsieur bien, gentil, sympathique.

Mais combien de citoyens anonymes ne font-ils pas les frais des agents de police ? Combien n’en feront-ils pas de même, aujourd’hui et demain ? Venance Konan a déjà eu à rapporter dans un de ses reportages, le cas émouvant de cette femme enceinte, que des policiers ont laissé mourir sur une de nos routes, sous prétexte qu’elle n’avait pas de… cartes d’identité ! Elle était à terme et on la conduisait dans un centre hospitalier ! Il avait indiqué l’autoroute où s’était passée cette scène, l’heure approximative, espérant par là, que des sanctions seraient prises contre les criminels. Rien ! Sous la refondation, le régime de l’impunité, que peut-il se passer ? Rien !!!

Laurent Pokou et sa famille ont dit qu’ils pardonnaient à (aux) l’agresseur (s). L’acte est certainement d’un grand symbolisme chrétien. Mais l’homme de lettres que je suis, ne peut s’empêcher de faire une autre lecture de ce pardon aux senteurs de sacrifice tout aussi symbolique : A l’Etat civil, Laurent Pokou porte aussi le nom Konan. J’ai déjà eu à signaler dans un de mes livres que des textes oraux attribuent aussi ce nom (Konan) à l’enfant que la Reine Pokou a sacrifié aux génies du fleuve furieux. L’homme porte donc deux noms symboliques : celui de la reine des Baoulé (Pokou) et celui du fils sacrificiel et sacrifié (Konan). Du temps épique de ses buts magiques et de ses dribbles et passes ensorcelés, on l’appelait l’Empereur baoulé3. Comme dans la légende, l’ex-gloire de notre footballeur a-t-il pris le parti de faire le sacrifice de son ego (son honneur bafoué), pour sauver tous ceux des Ivoiriens victimes potentiels de la barbarie de nos forces de l’ordre ? Peut-être, peut-être...
Pardonner, oui. Mais pour quel gain ? Quel sens aura ce pardon si ces pratiques continuent ?

J’ai appris que le chef de l’Etat s’apprête à rendre visite au célèbre footballeur, pour lui apporter son réconfort. Le geste est à saluer, s’il ne se perd pas dans la récupération politicienne. Ce geste est à encourager, à condition toutefois qu’il ait un sens salutaire et profitable aux Ivoiriens : que cette visite soit pour le chef de l’Etat, l’occasion et le prétexte de DECLARER HAUT et FORT, comme acte prohibé par la loi, les barrages routiers — absolument inadmissibles et porteurs de conflits entre les policiers et les automobilistes en même temps que facteurs de rackets.

Oui, si ce qui est arrivé à Laurent Pokou peut déboucher sur la fin des barrages routiers, des contrôles policiers intempestifs et inutiles, du racket abject, des agressions régulières et impunies des forces de l’Ordre sur les citoyens de ce pays, alors, alors le pardon de l’Empereur baoulé aura un sens. Sinon, nous les admirateurs inconditionnels de cet homme (et nous sommes des milliers et des milliers à travers le monde entier), nous maintiendrons notre plainte (que nous avons déjà rédigée) contre l’agresseur ; et nous en déposerons aussi une autre contre l’Etat de Côte d’Ivoire devant les tribunaux, pour pratiques terroristes sur la personne de Monsieur Laurent Pokou, ancienne gloire du football africain, modèle et référence pour des générations d’Ivoiriens et de passionnés du football à travers le monde.

Post-scriptum : Tiburce Koffi est coauteur, avec un Breton du nom de Jean-Yves Augel, d’une biographie en voie d’écriture, sur « Laurent Pokou, le buteur magique », (titre provisoire).

Note:
3/ C’est le journaliste guinéen, Boubacar Kanté qui, je crois, lui a donné ce merveilleux surnom.

dimanche 6 avril 2008

Alfred Tchétché cité dans un putsch contre Gbagbo (1)

Le temps de la terreur ‘‘bleue’’

A l’étranger où je suis en ce moment, je suis tombé par hasard, sur un article signé d’un certain Coulibaly Souleymane, correspondant régional d’un quotidien de la place. Cet article faisait le compte rendu d’un point de presse qu’avait animé un certain M. Alfred B. Koudou Tchétché, « dans la capitale administrative et politique » de notre pays (Yamoussoukro), où vit ce dernier. C’est un papier court, ramassé, comme on en demande aux correspondants régionaux — dans toutes les rédactions du monde, on n’a jamais suffisamment de place pour les faits régionaux, moins encore pour les plumes ‘‘régionales’’. Bref, c’est un papier ramassé qui dit, en peu de mots, sans état d’âme, sans aucun commentaire (neutralité journalistique oblige) ce qui est arrivé à ce « monsieur Alfred Balié Koudou Tchétché ». Un petit papier, timide et squelettique, signé d’une plume régionale, sans importance, qui parle, d’une voix neutre, de M. Alfred Balié Koudou Tchétché. Un petit papier…

Seulement, voilà : si le nom du journaliste qui a signé ce papier ne dit rien à l’opinion, celui de M. Alfred Tchétché interpelle, quant à lui, de nombreuses personnes ; car cet Alfred Balié Koudou Tchétché n’est, en réalité, pas n’importe qui. Ce n’est pas d’un individu anonyme, ni suspect qu’il s’agit. Il s’agit d’Alfred Tchétché, un homme connu. Un homme bien, comme on dit : élégant, galant aussi, gentil, un bon bourgeois qui écoute Chopin et Ray Charles, boit du grand cru et lit de grand auteurs…

J’ai le privilège de compter au nombre de ses amitiés ; car être un ami d’Alfred Tchétché est en effet un privilège. C’est pourquoi, ce petit papier signé d’une plume anonyme a eu de l’importance à mes yeux ; tout comme il a dû en avoir aux yeux de tous ceux (et je devine combien ils doivent être aussi sélects que nombreux) qui font partie des amis d’Alfred Tchétché. Et c’est aussi pourquoi, le cas d’Alfred m’interpelle, me chatouille les doigts, me dérange et m’alerte.

Quoi ! Alfred tchétché comploter contre M. Gbagbo Laurent ? Et qui l’a dit ? Un journal de la place. Un journal de couleur bleue… je devine ; car il n’y a qu’eux et eux seuls qui peuvent se donner licence d’écrire de telles insanités dans leurs journaux impolis et impunis.

Non, que surtout, l’on ne se mêle pas d’altérer ma juste colère. Je dis qu’il est temps que l’Olped et l’UNJCI, s’ils veulent conserver leur crédibilité, interpellent ces journaux de couleur bleue, financés par les hommes du pouvoir et au service de ce pouvoir (tout ivoirien le sait) et qui se sont mis aussi au service d’une cause mauvaise : offrir aux escadrons de la mort (dont tout ivoirien sait qu’il sont une émanation du régime) une liste de gens à tuer, pour la tranquillité du pouvoir de Gbagbo.

Venance Konan et moi sommes leurs cibles depuis un mauvais bout de temps. Au début du mois de janvier 2008, j’ai ainsi appris (de nombreux ivoiriens — parents et amis de même), que j’étais au Bénin durant les mois de novembre à janvier où je serais entrain de participer, au service de M. Brahima Coulibaly dit IB, sergent déserteur de notre Armée nationale, à un complot contre M. Gbagbo. Et le journaliste signataire de ce papier d’en appeler à une réaction des forces judiciaires et à celles de la répression pour que Venance et moi, soyons mis aux arrêts et traités comme des putschistes ! Mes parents et proches amis, ainsi que mes fidèles lecteurs qui savaient où j’étais (nous étions en communication téléphonique régulière, sur des lignes directes et des portables) avaient, heureusement pour moi, vite compris que ces journaux répandaient des mensonges éhontés. Plus grave, c’est sur le site du cabinet de la Présidence de la République que j’ai retrouvé, dans sa version intégrale, cet article qui m’incriminait…

J’ai saisi M. Zio Moussa, Pdt de L’oloped ( ?) de cette affaire. Venance Konan, dans un article, s’est quant à lui, interrogé de savoir comment, dans un pays normal, des journalistes peuvent-ils demander à un régime de mettre aux arrêts des collègues qu’ils ont décrétés putschistes !!!

En avril 2004, j’ai été surpris de lire dans un article publié dans un de ces journaux de couleur bleue, que j’étais un apparatchik (un traître à la patrie)… à une période où sévissaient les escadrons de la mort ! Après enquête, il m’est revenu que le journaliste qui avait écrit ce papier, hier de mes amis, pro Guéi affirmé contre Gbagbo, après être passé par le PDCI (ce qui n’était un secret pour personne), mais désormais gbagboïste (après la mort de Guéi et aussi après que l’Accord de Marcoussis avait reconnu la légitimité du pouvoir de Gbagbo – qu’il n’aimait pas du tout), faisait partie des nouveaux chouchous du Palais qui s’étaient donnés pour vocation républicaine de détecter les « traîtres à la patrie ». Et livrer leurs noms à la vindicte. En attendant que les escadrons de la mort parachèvent la besogne, par élimination physique de la personne mise en cause.

Il y a un dangereux précédent : en 1994, le journal bleu emblématique « La voie », avait publié une photo historique de quatre grandes figures de la gauche ivoirienne (Gbagbo, Dakouri, Moriféré, Zadi), en la falsifiant de manière inquiétante : une cagoule fut mise par le monteur (la décision avait été prise en conseil de rédaction) sur la tête de Bernard Zadi, écrivain de renom, auteur dramatique et respectable intellectuel et enseignant de ce pays ! Exactement comme on le faisait chez les Soviétiques, sous Staline. Aucun intellectuel du FPI ne s’était senti indigné par un acte aussi crapuleux et aux implications idéologiques vraiment inquiétantes…

Alfred Tchétché cité dans un putsch contre Gbagbo (2)

Diffamations, montages : talents d’une presse assassine

J’ai fait ces rappels à dessein, pour souligner le danger, tout le danger qui pèse sur ce pays, et que Bernard Zadi avait perçu depuis les années 1980 : la Grande menace1 pour les Ivoiriens, que représenterait ce régime dont il avait détecté la propension à l’autoritarisme outrancier et répressif, ainsi que les prédispositions au stalinisme dangereux — qu’il a d’ailleurs affichées au cours des années 1990 : le populisme de la refondation est d’abord et avant tout, une arme du crime savamment préparée. Et les rédactions des journaux bleus sont pourvues de ces mains assassines de deuxième degré. Mais il est temps de revenir au cas Tchétché.

Comme je le disais, je connais Alfred Tchétché. Les agents secrets et autres barbouzes qui signent dans les journaux bleus et à Fraternité Matin, diront sans doute que c’est une preuve supplémentaire de ce qu’il est effectivement, un conspirateur ! Qu’à cela ne tienne, je connais Alfred Tchétché. C’est un brillant homme de lettres, un monsieur cultivé qui vous parle avec aisance de Montaigne, de Sophocle, Senghor, Salvador Dali, Lautréamont, Karl Popper, Simone de Beauvoir, Mao, Tima Gbaï, Césaire, Lénine, Breton... Sa conversation est brillante, et plaisante est son commerce. A Yamoussoukro où il professe, Alfred travaille beaucoup à la promotion des Lettres et des arts, assume une présence remarquable au sein de l’Alliance française. C’est, au total, un intellectuel aimé de nombreuses personnes. Mais ce n’est pas cela qui justifie les lignes que je rédige ici à son attention. Alfred Tchétché est (chose renversante) un… admirateur de Gbagbo ! Et oui !!!

Témoignage. Ma dernière rencontre avec lui à Yamoussoukro, date de l’année dernière. Alfred (qui m’avait invité à manger) s’en était pris à moi parce qu’il avait estimé que j’étais trop sévère envers Gbagbo. En même temps qu’il était lui-même dur envers le système en général, il savait, à chaque fois, trouver les mots d’excuse pour justifier tels manquements graves du chef de l’Etat. En tout et pour tout, il fut d’une telle complaisance (qui m’écoeurait) quand il s’agissait de Gbagbo, qu’il avait commencé à m’énerver ; et il m’énerva en effet, surtout lorsqu’il se proposa d’entreprendre des démarches pour me réconcilier avec le chef de l’Etat et qu’il tenta (désastre !) d’obtenir de moi, la promesse de ne plus écrire d’articles critiques sur Gbagbo. Quand je le quittais pour regagner Abidjan, j’étais un peu mécontent de lui. Et depuis, j’ai mis un peu de distances dans nos relations...

On peut donc comprendre, outre la surprise, l’indignation que j’ai ressenties quand j’ai lu, dans cet article, que le nom d’Alfred Tchétché (que Laurent Gbagbo connaît) a été cité dans un journal de couleur bleue, comme faisant partie d’un groupes de conspirateurs qui veulent attenter à la vie du chef de l’Etat ! Et j’ai eu peur : enfin…, où allons-nous ? Que signifie cette vilaine presse qui voit des ennemis de Gbagbo partout ? Alfred Tchétché, conspirer contre Gbagbo ? Allons, allons, de quoi me parle-t-on ? « On est où là ? », comme dirait l’Ivoirien taquin.

L’accusation portée contre cet homme résonne à mes oreilles comme une menace sur la tête des intelligences libres de ce pays. Comme tout homme réellement cultivé, Alfred Tchétché n’est pas de la race de diplômés qui se censure, pour faire plaisir aux Princes. Alfred a l’habitude d’exprimer librement ses opinions. Et je devine, d’ici, le traquenard dans lequel il a dû se retrouver, un soir de gaie compagnie au milieu de gens qu’il ne connaissait pas, tous : il a sans doute émis un point de vue réservé ou critique sur un acte posé par Gbagbo-le-chef-divin-qui-poursuit-le-combat-de-Moïse ! Et cela a suffi pour qu’il soit cité au nombre des conspirateurs. Alfred Tchétché putschiste ? Mon œil ! Refondateurs et autres mains criminelles de ce régime, ne touchez surtout pas à Alfred Tchétché. Ne le touchez pas !

Note
1 - Titre d’un merveilleux film, avec comme acteur principal, Richard Burton.

jeudi 3 avril 2008

Hommage au combat des femmes de Côte d’Ivoire (1)

Oser défier la peur de la répression

A toi la femme anonyme
A toi la femme des travaux pénibles
A toi la ménagère de Yop-la-misérable
Et toi aussi, la vendeuse d’Abobo-la-sale

A toi la putain généreuse de Treich-la-vile
Et à toi aussi, l’ouvrière matinale de Vridi
Comment ne pas te nommer, toi Mami de Cocody
Et toi, la maquisarde de Koumassi

Femmes de Marcory, femmes de Port-Bouët
Femmes d’Attécoubé, femmes d’Adjamé
Femmes de mon pays
Femmes de ma Côte d’Ivoire en péril

A vous, ces femmes d’hier, d’aujourd’hui, de demain
Que je vous salue, vous salue, enfin !!!

Il me faut justifier cette ode peu adroite qui ne cadre pas du tout avec le climat formel d’une chronique de journaliste. Comme de nombreux Ivoiriens en ce moment absents du pays, j’ai appris, par la voie des ondes, la bienfaisante nouvelle du soulèvement des femmes de Côte d’Ivoire, qui ont colonisé les trottoirs d’Abidjan au cours des journées du lundi et du mardi, pour protester contre la hausse des prix. Journées folles m’en a-t-on dit. Journées de révolte, de refus de l’inacceptable, serait-il plus exact d’en dire. Et il m’a plu de célébrer cette manifestation qui, plus que l’expression d’un mécontentement ponctuel, épouse, à mon sens, les allures d’un combat de libération, dans un pays où les actes de régression de la démocratie ne se comptent plus.

Et voici donc mes femmes-ivoires sur les trottoirs d’Abidjan. Les trottoirs, non pas pour y exhiber comme naguère au cours des nuits de vice, quelques corps marchands, mais pour y dire la seule parole qu’il sied que disent des êtres opprimés par les besoins quotidiens : se laver, se nourrir, s’habiller, se déplacer. Non, pas même se distraire, ni s’instruire, mais tout simplement se laver, se nourrir, s’habiller, se déplacer ; c’est-à-dire, répondre aux besoins premiers qui fondent l’être humain dans sa donne la plus naturelle… la plus primitive.

On retiendra donc que les femmes ivoiriennes ont crié leurs misères, leurs ras-le-bol de ces hausses régulières des prix des denrées premières ; et c’est juste et bon que ce soient elles qui l’aient fait, respectant en cela le rôle que la société leur a toujours reconnue : veiller à la conservation des valeurs essentielles de la famille et du foyer quand l’homme (qui s’est octroyé le titre, pas toujours mérité, de chef de famille) a prévariqué en trichant avec le grand devoir citoyen. Alors, comme cela est souvent arrivé dans l’histoire, les femmes ivoiriennes ont pris leurs responsabilités : deux jours de manifestation ; deux jours d’expression légitime de leur mécontentement. Le roi a alors daigné annoncer des mesures sociales pour les apaiser ; plus exactement, pour apaiser le peuple. C’est un des aspects importants de ces moments forts que les Abidjanais viennent de vivre. Et c’est cet aspect qui s’offre à mon intelligence critique.

Il y a en effet, quelques trois ou quatre mois, « le roi-fêtard1» de ce pays disait, plein de suffisance et de mépris pour les pauvres ivoiriens (désormais ses sujets2), qu’il entendait les supplications de la population qui croulait sous le poids de la misère ; mais qu’il n’y pouvait rien, car il ne pouvait pas suivre deux écureils à la fois ; or, l’écureil qui l’intéressait, lui, c’était l’écureil « élection ». C’est pourquoi ce qui le préoccupait, c’était la sortie de crise. Je ne m’attendais donc pas à l’observer intervenir dans le débat social actuel au point de le voir ‘‘monter au créneau’’ (comme on dit) pour calmer la fureur des femmes. Rendons-lui justice : les propos qu’il a tenus (du moins ceux que j’ai entendus sur rfi-la-mal-aimée des refondateurs) m’ont paru sages, responsables, quelque peu rassurants, voire rassurants.

Oui, être à l’écoute du peuple, être attentif à ses souffrances, et prendre des mesures pour le soulager un tant soit peu de ses soucis les plus cruciaux, voilà comment doit se comporter un chef, et non point comme un fêtard habité par l’esprit du dimanche. Ah, cette virée à la rue Princesse avec un ministre français !!! Comme si un chef d’Etat de France distrairait de son temps pour accompagner son homologue africain à Pigalle ou à Barbès, une nuit d’envies lubriques !!! Et après cela, on s’étonnera que le Blanc ne nous prenne pas au sérieux, et on viendra crier encore à la revendication de notre dignité bafouée, de notre souveraineté…, etc., etc. N’importe quoi !!!

Le second aspect de cette crise sociale (oui, c’en est une), est le comportement des forces de l’ordre. J’ai appris sur rfi qu’il y a eu un mort au cours de ces diverses manifestations. Inclinons-nous sur la dépouille de cette énième victime du régime des refondateurs. La comptabilité macabre continue donc sous le règne de ces étranges faiseurs du bonheur du peuple. Un mort ! J’avais craint le pire — ce régime nous avait habitués à plus de morts que cela. Un mort. C’est toujours, certes, une tragédie, dans la mesure stricte où la mort — cessation du souffle divin qui nous habite — marque la fin absolue de l’existence d’un être ; mais deux jours de manifestations de cette ampleur, sous la refondation, auraient débouché, il y a de cela une ou deux années, sur des tueries en masse… des centaine de morts. Ce qui n’a pas été le cas pour les récentes manifestations qui furent pourtant de grande envergure.

Notes
1/
La belle appellation nous vient du quotidien Le Nouveau Réveil.
2/ Le journal Le temps, un des canaux de la propagande populiste du roi, titrait récemment et fort maladroitement que « Gbagbo met à ses pieds, les Goly, les Kôdê et les Akouê». Mettre à ses pieds des tribus, dans une République ! Oui, il faut oser l’écrire ! C’est vraiment le temps des refondateurs

Hommage au combat des femmes de Côte d’Ivoire (2)

Le temps de l’alliance nationale ?

Il y a donc, selon moi, de quoi féliciter nos forces de l’ordre, non pas pour n’avoir tué qu’une seule personne, mais pour n’avoir pas versé dans la barbarie et les excès de tueries que commettent souvent, dans ce genre de situations, les Corps habillés des pays sous développés, dans l’accomplissement de leurs devoirs civiques et républicains : assurer à tout prix l’ordre ; en pratique, cela signifie : veiller au maintien du pouvoir. Peut-être que l’heure de la grande réconciliation entre le peuple ivoirien et ‘‘ses’’ Corps habillés approche ; cette heure où, fatigués eux aussi des manquements de ce régime qui n’en finit pas de piller notre pays, habités soudain par la conscience de leurs devoirs républicains (devoirs qu’ils ont souvent trahis), nos policiers, nos gendarmes et nos militaires uniront leurs forces républicaines à celles, nationales, des milliers de désespérés et de déçus de la refondation, qui espèrent en une fin rapide de ces prédateurs...

Ce qu’il faut retenir pour l’heure, c’est la victoire des femmes ivoiriennes sur la peur de la répression. Ce qu’il faut retenir aussi, c’est le sens de l’anticipation du chef de l’Etat qui, en politicien avisé, sait que les manifestations (apparemment mineures) de cette nature, finissent toujours par emporter les régimes peu vigilants. Ce qu’il faut retenir enfin, c’est que notre chef a peut-être compris que l’obsession des élections ne doit pas l’empêcher de veiller au bien-être du peuple : après tout, le but des élections, c’est d’obtenir du peuple, le droit de le diriger...

Les femmes ont donc dit non à l’inacceptable et, conséquemment, elles ont indiqué la voie à suivre à tous ceux d’entre les nôtres qui couvent en eux un potentiel de refus à exprimer dans ce pays qui se meurt chaque jour, sous l’action toxique d’une ‘‘dirigeance’’ mauvaise. Le courage de ces femmes doit pouvoir faire tâche d’huile, car il y a encore tant et tant de situations inacceptables à dénoncer, tant de cris à pousser encore, tant d’incongruités et d’anormalités à refuser dans notre pays : l’école déstructurée, les structures sanitaires sous équipées, les détournements de fonds réguliers, l’argent fou, le terrorisme d’Etat, l’insalubrité, la mort de l’éthique, la prostitution galopante, l’alcoolisme en milieu scolaire, la corruption légalisée, la gestion triste et occulte de nos matières premières (café, cacao, pétrole, gaz, le bois, le diamant, etc.), la sombre culture de la luxure dans laquelle plonge ce pays ; par-dessus tout, le ‘‘je m’en foutisme’’ du chef, le populisme outrancier qui guide son agir politique, sa promptitude à dévaloriser l’institution républicaine et l’image de la Côte d’Ivoire.

Oui, du strict point de vue de la qualité de la fonction et des responsabilités qui sont celles d’un chef d’Etat, cette virée nocturne à la rue princesse avec M. Jack Lang, reste un sommet de l’indécence, une énorme gourde administrative : la manifestation indiscutable du peu de considération que le chef d’Etat ivoirien a souvent eu à exprimer pour le Protocole d’Etat qui fut, hier, sous Houphouët, un des points essentiels de la qualité étatique de notre pays.

Je le répète à l’envie et au besoin : à l'image de nombreux chefs d'Etats africains, M Gbagbo, ne sait pas très bien ce que c'est que l'Etat, dans ses données conceptuelles et symboliques. Pour nombre d'entre eux, comme M. Gbagbo, « l’Etat est une chose que le Blanc a oubliée en Afrique, en partant 3». Aussi, pour nos chefs, la fonction de chef d'Etat se résume-t-elle aux budgets faramineux de souveraineté qu'ils peuvent s'octroyer au mépris des besoins de leurs peuples, aux licences ludiques et charnelles qu’ils s’accordent, à la culture de la jouissance, au culte de la personnalité, à l’obsession de la conservation du pouvoir, au plaisir démoniaque de la transgression ; mais jamais aux interdits ! Jamais aux renoncements. Or, un chef, un véritable chef, doit accepter de renoncer aux plaisirs populaires auxquels cède facilement le citoyen grossier et fat. Diriger, c’est apprendre à renoncer à soi. Mais ça, c’est trop en demander à M. Gbagbo et aux rois nègres !

En tout cas, personne ne saura me prouver que c’est à la rue Princesse — l’espace des résidus et des improductifs de notre société — que se trouve l’image qualifiante et qualitative de la Côte d’Ivoire. Et comme je comprends la superbe indignation du Pr Alassane Salif Ndiaye qui nous a gratifié d’un papier magistral — la conférence du professeur ! — sur cette question. Merci Professeur, de nous avoir ramenés au souvenir des Belles lettres et des combats intellectuels pour la survie des valeurs essentielles que doit cultiver l’élite d’une société ! Sublime ! Après tout, être un intellectuel, ce n’est rien d’autre que cela : ne jamais renoncer à défendre ces valeurs-là, sans lesquelles, un peuple n’a plus d’âme ; ne jamais renoncer à faire usage de la plume pour rappeler aux princes prévaricateurs, leurs vrais devoirs, et les ramener sur le chemin des choses droites. Oui, les vêtements de chef d’Etat sont, visiblement, trop contraignants pour M. Gbagbo. Prenons-en acte, Ivoiriens, et attelons-nous à le défaire de ce manteau de Nessus… pour lui rendre service.

Tuez donc en vous la peur, gens de mon pays. Osons chaque jour un peu plus, si nous voulons vraiment mettre fin à nos misères collectives dues aux désespérances de ce régime malhabile. A cet effet, je vous invite à méditez sur ces deux belles citations que je vous propose, pour aujourd’hui : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles4 ». La seconde nous vient de Gustave Le Bon : « Un dictateur n’est qu’une fiction. Son pouvoir se dissémine en réalité entre de nombreux sous dictateurs anonymes et irresponsables dont la tyrannie et la corruption deviennent bientôt insupportables

Il ne fait plus aucun doute que, pour le peuple ivoirien, l’heure de l’insupportable et de l’inacceptable a sonné. Merci, femmes de mon pays, d’avoir indiqué le chemin de la libération.

Femmes de mon pays
Femmes de ma Côte d’Ivoire en péril
A vous, ces femmes d’hier, d’aujourd’hui, de demain
Oui, je vous salue, vous salue, enfin !!!

Notes
3/ Cette anti-définition ou définition par l’absurde, est de Ernest Kakou Tigori. Lire Pauvre Afrique… tu te relèveras, Essai, Abidjan, édition Assanglo, 2004.
4/ Extrait des Lettres de Sénèque à Lucilius.