dimanche 20 avril 2008

Césaire, la fôhoun!

C’est le matin d’hier que le poète est parti. Non pas ce « petit matin » qui ouvre, rythme et cadence « Le cahier d’un retour au pays natal » — le point culminant de la poésie universelle, mais le matin banal du temps des hommes. Et voici qu’on le conte déjà au passé, lui le maître des grandes orgues ; lui qui, plus que tous les fils élus de la Parole, avait tant su nous dire le nommo et le muntu de sa langue de feu – le secret de son gosier de créateur ! Moins de cinq minutes après la déclaration officielle de son décès par le médecin, le premier texte était déjà sur le Net. C’est que la disparition (prévisible) de l’homme, était un événement mondial ; en tant que tel, il avait mis en alerte toutes les rédactions du monde. Exactement comme il y a quelques années, celle du Pape…

Il n’était plus du commun des mortels ; son nom et son œuvre étaient aux envergures du monumental ; et cela était juste car Césaire était le plus authentique d’entre les poètes du vingtième siècle, celui qui avait le plus compris que la poésie, la vraie, naît de la démesure du discours. Il disait d’ailleurs que « La connaissance poétique est celle où l’homme éclabousse l’objet de toutes ces richesse mobilisées ».

Pour le monde noir, pour les écrivains du monde entier, la disparition de cet homme sera (elle l’est même déjà) une date historique, un majestueux point d’orgue à observer, en hommage à celui-là qui, de toutes les consciences politiques et intellectuelles de sa génération et de son temps, était celui qui avait le plus mobilisé de l’énergie pour la défense des opprimés, et exprimé sa passion pour sa race — la race noire…

Aimé Césaire est mort à 94 ans ! Près d’un siècle de vie consacre donc son parcours terrestre. C’est un privilège des Dieux. Et les négro africains ont raison de ne pas pleurer les patriarches : à cet âge-là, on ne meurt plus, à vrai dire ; on se repose. Car comme disent les chrétiens : « L’œuvre est terminée /Du grand repos, l’heure a enfin sonné »…

Merci, grand maître, de nous avoir appris, passant dessus la Martinique et toutes ces « Antilles qui ont faim, ces Antilles dynamitées d’alcool et crevées de petites véroles » (‘‘Le Cahier…’)’, le chemin initiatique qui mène au verbe fécondateur, au verbe beau, fort et juste. Et nous continuerons d’interroger les signes qui parsèment cet énigmatique « petit matin », et nous redirons le rêve de Christophe face au défi de « l’industrie de la pierre » et à cette incompréhensible indolence de la race Noire alors que « l’ocelot est aux aguets » ; et nous continuerons de nous identifier au laminaire, jusqu’à ce qu’il y ait de nouvelles saisons au Congo. Car, « il n’est pas vrai que l’œuvre de l’homme est terminée »… « et nous savons qu’il y a place pour tous… » sous le vaste préau de ce monde que nous pouvons, nous aussi, discipliner à la force de nos volontés déchaînées.

Aimé Césaire est décédé. Vive le poète ! Et que se prolonge la fête du mot magique qu’il avait si bien ouverte !

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Note :
1 / La fôhoun (en baoulé). Dors en paix !

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