jeudi 3 avril 2008

Hommage au combat des femmes de Côte d’Ivoire (1)

Oser défier la peur de la répression

A toi la femme anonyme
A toi la femme des travaux pénibles
A toi la ménagère de Yop-la-misérable
Et toi aussi, la vendeuse d’Abobo-la-sale

A toi la putain généreuse de Treich-la-vile
Et à toi aussi, l’ouvrière matinale de Vridi
Comment ne pas te nommer, toi Mami de Cocody
Et toi, la maquisarde de Koumassi

Femmes de Marcory, femmes de Port-Bouët
Femmes d’Attécoubé, femmes d’Adjamé
Femmes de mon pays
Femmes de ma Côte d’Ivoire en péril

A vous, ces femmes d’hier, d’aujourd’hui, de demain
Que je vous salue, vous salue, enfin !!!

Il me faut justifier cette ode peu adroite qui ne cadre pas du tout avec le climat formel d’une chronique de journaliste. Comme de nombreux Ivoiriens en ce moment absents du pays, j’ai appris, par la voie des ondes, la bienfaisante nouvelle du soulèvement des femmes de Côte d’Ivoire, qui ont colonisé les trottoirs d’Abidjan au cours des journées du lundi et du mardi, pour protester contre la hausse des prix. Journées folles m’en a-t-on dit. Journées de révolte, de refus de l’inacceptable, serait-il plus exact d’en dire. Et il m’a plu de célébrer cette manifestation qui, plus que l’expression d’un mécontentement ponctuel, épouse, à mon sens, les allures d’un combat de libération, dans un pays où les actes de régression de la démocratie ne se comptent plus.

Et voici donc mes femmes-ivoires sur les trottoirs d’Abidjan. Les trottoirs, non pas pour y exhiber comme naguère au cours des nuits de vice, quelques corps marchands, mais pour y dire la seule parole qu’il sied que disent des êtres opprimés par les besoins quotidiens : se laver, se nourrir, s’habiller, se déplacer. Non, pas même se distraire, ni s’instruire, mais tout simplement se laver, se nourrir, s’habiller, se déplacer ; c’est-à-dire, répondre aux besoins premiers qui fondent l’être humain dans sa donne la plus naturelle… la plus primitive.

On retiendra donc que les femmes ivoiriennes ont crié leurs misères, leurs ras-le-bol de ces hausses régulières des prix des denrées premières ; et c’est juste et bon que ce soient elles qui l’aient fait, respectant en cela le rôle que la société leur a toujours reconnue : veiller à la conservation des valeurs essentielles de la famille et du foyer quand l’homme (qui s’est octroyé le titre, pas toujours mérité, de chef de famille) a prévariqué en trichant avec le grand devoir citoyen. Alors, comme cela est souvent arrivé dans l’histoire, les femmes ivoiriennes ont pris leurs responsabilités : deux jours de manifestation ; deux jours d’expression légitime de leur mécontentement. Le roi a alors daigné annoncer des mesures sociales pour les apaiser ; plus exactement, pour apaiser le peuple. C’est un des aspects importants de ces moments forts que les Abidjanais viennent de vivre. Et c’est cet aspect qui s’offre à mon intelligence critique.

Il y a en effet, quelques trois ou quatre mois, « le roi-fêtard1» de ce pays disait, plein de suffisance et de mépris pour les pauvres ivoiriens (désormais ses sujets2), qu’il entendait les supplications de la population qui croulait sous le poids de la misère ; mais qu’il n’y pouvait rien, car il ne pouvait pas suivre deux écureils à la fois ; or, l’écureil qui l’intéressait, lui, c’était l’écureil « élection ». C’est pourquoi ce qui le préoccupait, c’était la sortie de crise. Je ne m’attendais donc pas à l’observer intervenir dans le débat social actuel au point de le voir ‘‘monter au créneau’’ (comme on dit) pour calmer la fureur des femmes. Rendons-lui justice : les propos qu’il a tenus (du moins ceux que j’ai entendus sur rfi-la-mal-aimée des refondateurs) m’ont paru sages, responsables, quelque peu rassurants, voire rassurants.

Oui, être à l’écoute du peuple, être attentif à ses souffrances, et prendre des mesures pour le soulager un tant soit peu de ses soucis les plus cruciaux, voilà comment doit se comporter un chef, et non point comme un fêtard habité par l’esprit du dimanche. Ah, cette virée à la rue Princesse avec un ministre français !!! Comme si un chef d’Etat de France distrairait de son temps pour accompagner son homologue africain à Pigalle ou à Barbès, une nuit d’envies lubriques !!! Et après cela, on s’étonnera que le Blanc ne nous prenne pas au sérieux, et on viendra crier encore à la revendication de notre dignité bafouée, de notre souveraineté…, etc., etc. N’importe quoi !!!

Le second aspect de cette crise sociale (oui, c’en est une), est le comportement des forces de l’ordre. J’ai appris sur rfi qu’il y a eu un mort au cours de ces diverses manifestations. Inclinons-nous sur la dépouille de cette énième victime du régime des refondateurs. La comptabilité macabre continue donc sous le règne de ces étranges faiseurs du bonheur du peuple. Un mort ! J’avais craint le pire — ce régime nous avait habitués à plus de morts que cela. Un mort. C’est toujours, certes, une tragédie, dans la mesure stricte où la mort — cessation du souffle divin qui nous habite — marque la fin absolue de l’existence d’un être ; mais deux jours de manifestations de cette ampleur, sous la refondation, auraient débouché, il y a de cela une ou deux années, sur des tueries en masse… des centaine de morts. Ce qui n’a pas été le cas pour les récentes manifestations qui furent pourtant de grande envergure.

Notes
1/
La belle appellation nous vient du quotidien Le Nouveau Réveil.
2/ Le journal Le temps, un des canaux de la propagande populiste du roi, titrait récemment et fort maladroitement que « Gbagbo met à ses pieds, les Goly, les Kôdê et les Akouê». Mettre à ses pieds des tribus, dans une République ! Oui, il faut oser l’écrire ! C’est vraiment le temps des refondateurs

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