lundi 17 mars 2008

Présidentielle 2008 (?) (2) : le plan des refondateurs (1)

Des analystes plus perspicaces et mieux armés que moi l’ont déjà évoqué dans des articles publiés, ainsi que des plis confidentiels qui font partie des documents d’archives des réseaux de réflexion (il y a en beaucoup en ce moment) sur la crise ivoirienne. Dans tous les cercles où, à l’instar d’autres intellectuels du pays, j’ai été souvent invité pour participer à des réflexions sur l’issue de la présidentielle prochaine, les conclusions sont presque les mêmes, à quelques détails près : Gbagbo et ses refondateurs feront tout pour confisquer le pouvoir d’Etat, fusse au prix de leurs vies ; au prix de la vie des Ivoiriens, surtout.

Les choses seront ainsi, pour trois raisons que j’exposerai plus loin. La plus essentielle d’entre toutes, relève de la psychiatrie, ou tout au moins, de la psychanalyse : le mal insidieux qui a habité et sali l’âme de nombreux et célèbres empereurs, tout au long de l’histoire. Ce mal, c’est la schizophrénie du pouvoir. Ses symptômes sont connus : l’ivresse que procure l’image de soi que vous renvoient chaque jour, les medias ; la sensation d’être Dieu parce qu’on détient entre les mains, le pouvoir de défaire des vies, d’en fabriquer, d’ordonnancer même la mort et de l’administrer ; la crainte, l’envie, la soumission et la terreur qu’on suscite autour de soi ; par-dessus tout, la tentation enivrante de la TRANSGRESSION : le pouvoir, tout pouvoir est transgressif.

Le plaisir de Néron fut ainsi de voir brûler Rome et de se délecter de la fureur des flammes dévoratrices ; celui de Caligula était d’expérimenter le droit de vie et de mort (surtout de mort) qu’il avait sur le peuple, en ordonnançant, par moments, des exécutions à vous procurer quelque frisson. Le plaisir de Chaka était de voir l’ennemi empalé vivant, sur un pieu jusqu’à ce qu’il expire, las de souffrances insupportables. Jules César et les Romains, sauvages, de cette époque, jouissaient de voir les gladiateurs être dévorés par les lions ou bien s’entretuer : « Ave Caesar, morituri te salutan »Bonjour César, ceux qui vont mourir te saluent ! Tel était le rituel en vigueur, en prélude à la célébration des plaisirs étranges du grand empereur romain ! Oui, comme l’écrit J. Anouilh, « Le privilège des grands, c’est d’admirer les catastrophes, de leurs terrasses. »

Idi Amine, Hitler, Pol Pot, Samory, Staline, Sékou Touré, étaient tous, des fous. Des fous lucides cependant, car ils avaient perçu, dans des moments de transe subliminale, la médiocrité du genre humain, la fragilité de la vie, enfin la puissance ― toute la puissance que donne le trône rouge du pouvoir. Et Laurent Gbagbo peut ainsi lancer cette misérable injure à l’éthique des Ivoiriens, en disant : « Si j’avais su plus tôt combien il était facile d’acheter un homme, je n’aurais pas perdu mon temps à acheter des armes ». Il est donc un corrupteur, un acheteur de consciences qui se dévoile, sans pudeur ! Et cet homme veut continuer à nous diriger. Sur quelle base éthique ?

Propos choquants, oui ; mais brillants de vérité gênante. Car Laurent Gbagbo parlait en connaissance de cause : à la période où il tenait ces paroles choquantes, il venait d’expérimenter la fragilité du genre humain, la petitesse de l’homme. Il n’avait pas eu tort. Suivez mon regard : peu de temps après, celui qui jurait sa mort il y a quelques années, exigeant sa démission immédiate, est venu occuper les locaux de la primature et est devenu, actuellement, son plus grand soutien. Et je devine d’ici, comment, des loges étincelantes de lumière du Palais présidentiel où il trône, satisfait de soi, Laurent Gbagbo doit être en train de se moquer de ce rondelet de maquisard urbain aux rêves si facilement monnayables, ce guérilleros urbain si prompt à marchander ‘‘sa’’ rébellion ! C’est cela, le plaisir des princes et des hommes qui possèdent la culture de la cruauté délicieuse : se délecter des petitesses de leurs (presque) semblables – les hommes. Un privilège des dieux. Patrick Ilboudo, un écrivain burkinabé a ainsi écrit un livre au titre très évocateur : « Le vertige du trône »…

Les peuples ne décèlent cette folie qui habite l’esprit de leurs dirigeants qu’après le temps de l’apocalypse, quand ces derniers ont fini de ruiner le monde, semant et laissant sur leurs passages, cendres, cris, cadavres et désolations. Et Laurent Gbagbo porte en lui, l’âme de ces dirigeants. Ni plus, ni moins dangereux qu’eux ; mais tout simplement, exactement comme eux. Ils sont venus pour bousculer le monde, le rendre un peu différent de ce qu’il était, avant eux. Pas forcément meilleur ni pire, mais tout simplement (ou tragiquement – c’est selon), différent.

Œil de maître d’initiation et plus exercé que tous, le poète Bottey Zadi Zaourou — Bernard Zadi, de son vrai nom — qui joua beaucoup dans sa formation, écrit alors : « Que de peines à l’année/ Que de larmes, Dowré,/Pour que pavoise aujourd’hui l’enfant prodige qu’identifia naguère et dès son berceau d’osier mon regard d’Initié/Bienvenue à toi Hermès !/Mais pourquoi donc, fils de Maïa,/Forniques-tu avec la lèpre ?/Pourquoi imposes-tu comme co-épouse à la lèpre la folie rageuse qui affole les foules » (Fer de lance, version intégrale, NEI/Neter, 2002, p.161)

A cette même page, le poète rend hommage au combat épique de ceux qui se feront appeler un peu plus tard, les refondateurs. Zadi les connaît. La plupart des têtes pensantes de la refondation sont sorties de la matrice de ses mains de pédagogue et d’idéologue. Lisez ces vers, pour mieux me comprendre : « Or/Les voici mes gaies lucioles/Mes étoiles/Mes cigales babillardes/Toute la faune des sans-culotte/Ouiii… mes jacobins germés dans le souterrain de ma main gauche et repiqués sans précaution sur le terreau des plaines d’Eburnie. » (Opus. Cit. p. 161). Le propos est profond et lourd de significations ; mais son auteur, Zadi, est un poète ; or les peuples brouillons et sauvages (comme ce que sont devenus aujourd’hui les Ivoiriens) ne sont jamais à l’écoute des poètes, ces prophètes des temps anciens où l’homme avait une oreille disponible et disposée à entendre la voix des mages. Le poète le sait ; alors, dépité, il traite son peuple de varans…

Bref, je parlais de la psychologie des schizophrènes du pouvoir. Chaque grand dirigeant (et Laurent en est un – ne serait-ce que dans sa dimension la moins utile2) est en cela, rien qu’en cela, un re-fondateur. Le règne de ces dirigeants ne passe jamais inaperçu. Ils entrent forcément dans le ventre de l’histoire, car après le fracas de leurs passages, les historiens et les survivants indiquent, toujours, une ère avant eux, une autre sous eux, et une ère après eux : il y aura ainsi la Côte d’Ivoire avant Gbagbo, la Côte d’Ivoire sous Gbagbo, et la Côte d’Ivoire après Gbagbo. Cela sera ainsi parce que Gbagbo est venu pour dé-ranger la Côte d’Ivoire en lui imprimant un ordre nouveau dont lui seul et les maîtres des secrets de l’ombre (ceux-là qui savent décrypter les grandes énigmes) ainsi que quelques analystes avisés, savent la logique. Je confesse mon ignorance sur ce plan. Bref, quel est donc le plan des refondateurs ?

Note:
2/ Il a aussi et bien sûr, des qualités. Beaucoup plus qu’on ne le croie, même.

Prochain article
Le plan des refondateurs: Schémas ukrainien et kenyan


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